Un regard sombre sur la situation
2004. Je reprends ici des extraits d'un article paru dans Midi Libre où je suis interviewé par Antony Jones suite à une sérieuse invasion de criquets pèlerins en Afrique.
Seuls les gros sous peuvent faire reculer le criquet pèlerin - Du Sahel au Maghreb, le criquet pèlerin s'incruste. Partout. Il paraît même que l'insecte s'est invité dans les conversations, à bord du Charles-de-Gaule, entre Jacques Chirac et la pléiade de chefs d'états africains conviés pour la commémoration du débarquement en provence. Car, assurément, l'aide internationale demandée fait cruellement défaut au moment où l'invasion du criquet pèlerin en est encore à ses prémices. Et l'Afrique tremble, appelant à la rescousse. Les images sont hallucinantes. Le criquet, devenu grégaire, se déplace en essaims qui dévorent tout sur leur passage. Vision d'apocalypse: l'arrivée des insectes ressemble à d'épais nuages pouvant s'étendre sur ... 150 km2! A la mi-août, la situation était plus que préoccupante. Rien que pour le Sahel, il y a plus de 3 millions d'hectares à traiter. Le Maghreb, sur ses fonds propres, a déjà traité 6 millions d'hectares. Pour autant, l'invasion n'a pu être stoppée.
Michel Lecoq, entomologiste au Cirad* et responsable du Prifas**, ne déborde pas d'optimisme. Au début du mois d'août, il a été chargé d'une mission d'évaluation par le ministère des Affaires étrangères.
"Nul ne peut s'estimer surpris par ce qui se passe. Nous sommes face à un cycle connu. Les pluies exceptionnelles en 2003 laissaient présager des pullulations généralisées dans toute la zone sud-saharienne, de la Mauritanie au Soudan. A l'automne 2003, les essaims ont migré vers le sud du Maroc, de l'Algérie et vers l'Arabie. Malgré les appels répétés des pays affectés et de la FAO (Food and Agriculture Organisation, qui dépend des Nations Unies) la mobilisation de la communauté internationale est restée faible" explique-t-il. Selon le chercheur, "les besoins exprimés se montent à 71 millions de dollars pour la seule partie sahélienne". Et, plus on tarde à intervenir, plus la note s'alourdit.
A gauche: dans mon labo, avec un criquet pèlerin à la livrée jaune vif caractéristique des individus de phase grégaire en période de reproduction (photo Ch. Palasz, Midi Libre).
Dans cette région du monde, l'invasion des criquets fait partie de l'histoire. Avant les années soixante, le phénomène était systématique. Il a été contenu par la suite, en fonction d'un renforcement de l'aide. Entre 1987 et 1989, un certain relâchement dans les crédits affectés avait conduit à une nouvelle invasion. La mobilisation trop tardive des fonds a été payée au prix fort... La communauté internationale avait dû mettre la main à la poche à hauteur de 271 millions d'euros.
"En l'absence de prévention, de surveillance, il faut répandre beaucoup d'insecticide. Les opérations de lutte en urgence ont un impact environnemental fort", déplore Michel Lecoq. Et d'ajouter: "Cette fois, il est probable que l'invasion ne pourra être maîtrisée au niveau des pays sahéliens, quels que soient les efforts de lutte, et qu'une campagne intensive est à prévoir au Maghreb à partir de la fin de l'année 2004. Des répercussions très importantes sont à craindre sur les cultures de primeurs et l'arboriculture, notamment au Maroc".
Le Cirad intervient régulièrement aux côtés de la FAO. La France se montre plus prompte à la volonté technique qu'à la décision financière. Ce que regrette Michel Lecoq: "Notre pays est traditionnellement un bailleur majeur dans cette partie du monde sur la lutte antiacridienne***. Il y a nécessité de mobiliser des financements plus importants au niveau français. C'est une question d'intérêts nationaux à long terme sur la région". Antony Jones
Au final, cette invasion - qui sera maîtrisée au début de l'année 2005 - aura eu au moins le mérite de débloquer les financements internationaux nécessaires au lancement du programme EMPRES de la FAO de renforcement de la lutte préventive contre le criquet pèlerin, programme qui attendait ces financements depuis plusieurs années pour pouvoir démarrer effectivement.
En 2004, près de 3000 ans après Ramsès II, Moïse et la 8ème plaie d'Egypte, un essaim de criquets pèlerins survole les pyramides (© Reuters).
* Cirad, Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement.
** Prifas, Unité de recherche du Cirad intitulée à l'époque 'Ecologie et maîtrise des populations d'acridiens".
*** Lutte antiacridienne: lutte contre les criquets ravageurs.
Comments