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Bahia... par tous les Saints !

Quel tour, mais quel tour! A la suite de cet excellent 12ème congrès de la Société internationale des Orthoptéristes à Ilheus, au Brésil, le 5 novembre au matin, une troupe de 13 privilégiés s’est embarquée pour une tournée touristique à travers l’état de Bahia, tournée concoctée par notre organisateur Marcos Llano. Il y avait là aussi bien quelques vétérans, dont je faisais partie, que quelques jeunes doctorants, ajoutant ainsi un brassage de générations à celui des nationalités : allemands, argentins, australien, hongrois, américains, et même – last but not least – français. Après une première excursion dans les environs d’Ilheus le 4 novembre, notre première destination était la Chapada Diamantina, vaste massif montagneux situé au cœur de l’état de Bahia, à environ 500 km d’Ilheus, notre point de départ.


Pour atteindre cette zone, nous quittâmes l’hôtel Praia do Sol à Ilheus – où s’était tenu le congrès - et une longue journée en bus nous permit de découvrir une partie de la diversité des formations végétales de l’état de Bahia. Nous passâmes ainsi progressivement de la zone de forêt atlantique bordant la côte, à la zone de caatinga, cette végétation de brousse épineuse si caractéristique du sertão semi-aride de l’intérieur des terres. Cette zone, connue au Brésil comme le polygone de la sécheresse, a été fort bien décrite par Euclides da Cunha dans son célèbre roman Os Sertões traitant de la guerre des Canudos au 19ème siècle, dans l’intérieur de Bahia, véritable épopée de la vie des sertanejos dans leur lutte quotidienne pour la survie dans cette région très difficile à cultiver où les rapports sociaux sont particulièrement durs et les inégalités plus criantes qu'ailleurs.

En cours de route, nous déjeunâmes à Amargosa, petite ville de l’intérieur, dans le restaurant Outros Sabores. Dans la salle de restaurant nous pûmes admirer un magnifique buste de Gabriella, héroine célèbre du roman éponyme de Georges Amado, l’un des plus grands écrivains brésiliens, né à Itabuna, non loin d’Ilheus. Les collègues congressistes ayant visité la ville ont dû se rendre compte que Georges et Gabriella y sont omniprésents. Mais revenons à notre excursion.

Jorge Amado (Ilheus, Bahia) et son héroïne Gabriella (restaurant Outros Sabores à Amargosa).

Nous arrivâmes assez tard à Lençois, au cœur de la Chapada Diamantina, petite ville d’environ 10000 habitants aux vieilles demeures à l’architecture coloniale du 19ème siècle. Notre hôtel, Vila Serrano, était une confortable pousada de charme idéalement située dans un parc boisé non loin du centre ville. La nuit, Lençois s’anime, les échoppes s'illuminent, les terrasses se remplissent d'amateurs de cachaça et de caïpirinhas. Il fait bon flâner dans les ruelles étroites en se laissant porter par la douceur des habitations colorées, vestiges d'une époque où les riches négociants avaient fait du lieu une place forte du commerce de diamant dans la région.

Lençois et ses rues étroites aux vieilles maisons colorées (Chapada Diamantina).

La Chapada Diamantina tire en effet son nom de l’exploitation des mines de diamant, principalement pendant le 17ème siècle, mais aussi au début du 20ème. D’altitude moyenne comprise entre 800 et 1200 mètres, la région inclut un parc national de plus de 150.000 hectares. La végétation de savane dans les vallées est remplacée, sur les pentes rocheuses et les sommets des montagnes, par les campo rupestre, végétation basse et ouverte, riche en orchidées, broméliacées et cactées. La forêt occupe les vallées profondes aux sols argileux. Les paysages sont sublimes. Nous sommes restés à Lençois du 5 au 8 novembre. La zone est propice à la randonnée : cascades, grottes, rivières, chutes d’eau, montagnes sculptées, et villages typiques de l’époque coloniale. Le séjour fut fort bien occupé. Se détendre, marcher, respirer l'air pur et admirer les paysages étant l'option principale, nous en avons pleinement profité.


Les randonnées dans la région nous ont permis d’admirer diverses grottes, dont celle de Lapa Doce, une grotte calcaire où nous avons pu admirer les nombreuses concrétions, stalactites et stalagmites aux formes plus étranges et plus belles les unes que les autres. Cette grotte de plus de 23 km est considérée comme la troisième en taille du Brésil. Et que dire des grottes de Pratinha et de la grotte Bleue (Cave Azul) abritant des lacs aux magnifiques eaux turquoise et cristallines.


A proximité immédiate de Lençois, une promenade sur une ancienne piste de mineurs remontant le rio Serrano, nous permis de visiter une ancienne mine d’or et de diamant. Il paraît même que l’un d’entre nous - émule des garimpeiros locaux - aurait trouvé, dans le rio Serrano, un échantillon minuscule d’une de ces pierres précieuses ! Mais il n'est pas certain que sa vente aurait permis de payer une tournée de caïpirinhas à l'ensemble du groupe.

Les eaux bleu turquoise au voisinage de la grotte Bleue et les eaux noires du rio Mucugezinho

(Chapada Diamantina).

Une autre randonnée nous fis descendre la vallée du rio Mucugezinho et nous mena, après quelques centaines de mètres, jusqu’au Puits du Diable (le Poço do Diabo), aux eaux noirâtres… ce qui n’empêcha pas la plupart d’entre nous de se baigner. Les possibilités de baignade furent d’ailleurs multiples dans les nombreuses rivières de la région. Ces rivières ont une eau limpide bleu turquoise près des sources, mais devenant noir plus en aval, en raison d’une forte concentration en matière organique végétale. Ces rivières entaillent profondément des formations sédimentaires anciennes composées de nombreuses couches de grès, de conglomérats, de calcaires… Résultat de cette érosion, un relief tabulaire impressionnant et des paysages spectaculaires. Nous avons en particulier escaladé le Morro do Pai Inácio - la « carte postale » de la chapada - du sommet duquel on peut admirer, sur 360°, un paysage sublime où les enfilades d’immenses et impressionnantes tables rocheuses ayant résisté au processus d'érosion témoignent du passé géologique de la région. Le Pai Inacio, qui culmine à 1120 m, est le site d'une légende, celle d'un père de l'Eglise amoureux d'une jeune fille, qui se serait jeté du haut de la montagne. Une croix au sommet a été érigée en son souvenir.

Au sommet du Morro do Pai Inácio et promenade en canoë dans le pantanal de Marimbus entre Lençois et Mucugê (Chapada Diamantina).

Après la région de Lençois, notre bus nous mena vers la petite ville de Mucugê. En cours de route nous fîmes un stop à Marimbus pour visiter une zone de pantanal, une zone humide exceptionnelle dans cet environnement semi-aride. Nous fîmes là une agréable ballade en canoë. Magnifique paysage de végétation aquatique, reflets du ciel ensoleillé sur l’eau… Et là, alors que certains d’entres nous se baignaient une fois de plus, d’autres firent une découverte : sur le seul arbuste du coin, posée sur le tronc, une femelle de Tropidacris collaris Stoll, 1813 (Romaleidae), magnifique bête – sans doute l’un des plus grands Orthoptères - qui se laissa manipuler et photographier à loisir. Après le déjeuner l’après-midi fut consacré à la visite du projet Sempre Viva, dédié à la protection d’une variété de fleurs d'immortelles, endémique de Mucugê et de sa région (ces fleurs, commercialisées à outrance pendant le siècle dernier, sont aujourd'hui quasiment en extinction). Là, une petite randonnée dans une végétation de caatinga nous mena jusqu’au rio Santo Antonio, ses cascades, ses eaux jaune-noirâtre et ses gorges taillées dans des conglomérats de couleur rose. Nous arrivâmes à la nuit à l’hotel Pousada de Mucugê, ancienne maison du 19ème siècle fort bien conservée et au charme tout colonial.

Grasshopper Tropidacris collaris Stoll, 1813 (Romaleidae)

Tropidacris collaris Stoll, 1813 (famille des Romaleidae),

l'un des plus grands criquets au monde (Pantanal de Marimbus, Bahia)

(photo de gauche : Braun Holger; photo de droite: Michel Lecoq).

Le lendemain, 9 novembre, après le petit déjeuner pantagruélique habituel, nous entreprîmes un long voyage vers Salvador de Bahia, à environ 450 km de là. Mais avant de partir, nous consacrâmes quelques moments à la visite du cimetière byzantin Santa Izabel, le monument de la ville, construit en 1855 après une épidémie de choléra, et seul cimetière construit en ce style dans les Amériques. Nous effectuâmes également un bref arrêt souvenir, non loin de Mucugê, sur un site largement exploré dans le passé par Carlos Carbonell et Roberts qui y décrivit de nombreuses nouvelles espèces d’Orthoptères. Après un déjeuner à Feira de Santana, nous arrivâmes à Salvador un peu avant la nuit et descendîmes à l’hôtel Portobello Ondina Praia. Puis, dans le vieux centre historique de Salvador, un dîner spectacle au restaurant O Coliseu nous permit d’avoir un aperçu de la culture bahianaise : la capoeira (cet art martial afro-brésilien), les rituels du candomblé, le mythe des cangaceiros évoquant les deux figures charismatiques du Nordeste brésilien que furent Lampião et Maria Bonita, et bien d’autres aspects de la culture locale.

L'église São Francisco (Salvador de Bahia)et le cimetière byzantin Santa Izabel de Mucugê (Chapada Diamantina).

La matinée du lendemain, après un passage au fort Santo Antonio da Barra, fut consacrée à la visite du vieux centre historique de Salvador avec le célèbre quartier du Pelourinho et ses maisons coloniales, ses rues étroites et pavées, ses nombreuses églises dont l'église São Francisco et son couvent, de style baroque, avec ses multiples dorures et ses azuleijos. Nous passâmes bien sûr par la Plaza da Se et par la fameuse place du Largo do Pelourinho, devant l’ascenceur Lacerda, et empruntâmes le plan incliné Gonçalves reliant la ville haute à la ville basse pour visiter le Mercado modelo, vaste centre d’artisanat local en bordure de mer. La journée se termina par la visite de l’Eglise de Bonfim située sur la Colline sacrée, l’un des centres de la foi catholique au Brésil, dédiée au Senhor do Bonfim, patron des bahianais et symbole du syncrétisme religieux de Bahia. Les grilles entourant l’église sont entièrement garnies de ces fameuses fitas de Bonfim, ces petits bracelets de tissu aux couleurs variées. A chaque couleur est associée une signification, ainsi que l'une des divinités du candomblé (les orixas), la religion afro-brésilienne fondée par les esclaves. Le rituel est d'attacher la fita de trois nœuds, et de faire un vœu pour chacun d'entre eux ; lorsque le bracelet se rompra naturellement, les vœux se réaliseront. Sortant de l’église (et de son extraordinaire salle des ex-votos), je me glissais dans l’une des échoppes de bondieuseries situées au voisinage et en profitais, sans doute au désespoir de mon épouse, pour compléter ma collection d’objets religieux du candomblé et de l’umbanda en achetant deux petites statuettes, l’une de Maria Conga et l’autre du Preto Velho.

Le Largo do Pelourinho et le Largo do cruzeiro de São Francisco (vieille ville de Salvador).


Le 11 novembre, notre chauffeur nous emmena le long de la côte jusqu’à Praia do Forte pour visiter le projet Tamar de sauvegarde des tortues marines, visiter les ruines du château Garcia d'Avila, seul château de style médiéval (datant en fait du 16ème siècle) construit au Brésil… et bien sûr profiter de la plage. Enfin, pour le dernier jour de notre périple, nous embarquâmes pour une croisière dans la Baía de Todos-os-Santos, la baie de tous les Saints. Une première escale, après 1h30 de bateau, nous permit de débarquer à l'Ilha dos Frades (l'île des Frères), de visiter l’église, de profiter de la magnifique plage et de déguster de merveilleuses petites brochettes de fromage de queijo coalhado à l’incomparable saveur. Une deuxième escale nous vit débarquer dans l’île voisine d’Itaparica, puis nous rentrâmes sur Salvador au son d’un orchestre typique entraînant de nombreux passagers dans une danse endiablée pendant que, malgré les vagues, une bahianaise en tenue de dentelle blanche, son plateau à la main, continuait à proposer aux passagers des verres de jus de fruit et de caïpirinha. L’arrivée de nuit sur le port de Salvador fut féérique et constitua le point d’orgue de notre croisière. Nous fîmes une photo souvenir du groupe sur les marches de l’hôtel et le lendemain, il fallut se lever tôt et partir, en taxi, vers l’aéroport où nous attendait notre avion pour la France.

L'église du Saint Sacrement dans l'île d'Itaparica (Baie de Salvador) et le château de Garcia d'Avila, sur la côte, à 70 km au nord de Salvador.

Chacun regretta de devoir se quitter et de devoir laisser un pays si attachant. Je garderai longtemps le souvenir de ce voyage, de l’ambiance chaleureuse et amicale, et de ce festival de la gastronomie du Nordeste. Sans vouloir toutes les citer, je retiens comme spécialités culinaires, les moqueca de camarão (avec riz, farofa, pirão, et feijão de corda), le fabuleux rodizio de churrasco, les beijos de tapioca, et les acarajés, ces petits beignets de farine de haricots cuits dans l’huile de dendé, coupés en deux et fourrés de crevettes séchées, de mayonnaise pimentée et de petits morceaux de tomate, vendus souvent au bord des rues par des bahianaises portant leur magnifique tenue de dentelle blanche. Et que dire de la caïpirinha, ce cocktail de cachaça et de citron vert qui devint quasiment la boisson officielle du tour. Et de ce fantastique restaurant, à Salvador, proposant une cuisine traditionnelle du sertao nordestin au son d’un orchestre de forro, musique populaire du Nordeste s’il en est, popularisée par Luiz Gonzaga do Nascimento avec sa chanson Asa branca.

Orchestre typique jouant du forro, musique traditionnelle très populaire dans le Nordeste du Brésil et notre hôte, Marcos, dans une churrascaria, restaurant brésilien de grillades très typique (Salvador).

Je crois connaître un peu le Brésil pour y avoir vécu un certain nombre d’années, et en particulier le Nordeste où j’ai habité – à Petrolina, dans le Pernambuco – pendant un an et demi dans les années 85-86. Je peux dire que Marcos a réussi, en l’espace de 8 jours, à nous proposer un condensé de ce que la culture et la biodiversité bahianaises peuvent avoir de meilleur. Marcos, merci pour ce voyage qui a largement contribué à nous faire vivre concrètement ce qui fait l’originalité et l’attrait de notre Société, une société pour la science, mais aussi pour la passion et pour l’amitié à travers les générations et à travers les continents. Merci Marcos, au nom de tous ceux qui ont eu la chance de t’avoir comme compagnon de route au cours de ce merveilleux périple. Um abraço forte !

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