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Des stagiaires astucieux

2007, Madagascar. Suite à une invasion de criquets migrateurs, de 1997 à 1999, et à d'importantes pullulations du criquet nomade, la France apporta tout d'abord un appui à la lutte, puis à l’effort de réhabilitation du Centre national antiacridien malgache (CNA), le centre de lutte contre les criquets. Cette assistance portait le nom de Projet de contribution à la lutte antiacridienne (PCLA). Dans ce cadre, depuis l'année 2000 et au travers de lettres de commande de l'Ambassade de France à Tananarive, j'avais pu obtenir des financements pour collaborer avec le CNA pour la réalisation d’un outil d’alerte précoce contre les invasions du criquet migrateur et la conduite d’études écologiques sur le criquet nomade. Tous ces travaux, qui se sont étendus jusqu'à la fin 2003, étaient réalisés en accord avec les recommandations de la mission FAO de juin 1999 - dont j'avais fais partie - de formulation d’un programme de lutte antiacridienne à court, moyen et long termes [1].

A Bekily, en avril 2007, lors d'une de mes tournées dans l'extrême-sud pour vérifier mon dispositif d'observation sur le criquet nomade. Halte pour la nuit à l'hôtel La Caravane Club. A ma gauche sur la photo, l'épouse du propriétaire et sa fille. A ma droite, le propriétaire, un ingénieur du centre antiacridien, et mon chauffeur.

L'hôtel "La Caravane Club" à Bekily.


Puis, l'assistance française touchant à sa fin, j'avais pu obtenir un nouveau contrat dans le cadre d'un projet d'assistance financé par la Banque africaine de développement (la BAD) en appui au Centre national antiacridien, le Projet de lutte préventive antiacridienne (PLPA). Ce contrat, signée fin août 2005, passait par une convention avec un partenaire malgache, le FOFIFA, l'organisme national de recherche agronomique. Il s'agissait de continuer les travaux entrepris précédemment sur les criquets migrateurs et nomades. Je supervisais l'ensemble du projet mais avais pris en charge plus directement les travaux sur l'écologie du criquet nomade.

Salle de restaurant de l'hôtel La Caravane Club à Bekily. A droite, une vieille maison en centre ville.

J'avais implanté un dispositif d'observation dans tout l'extrême-sud du pays. Régulièrement, à l'occasion de chacune de mes missions, environ 1 mois deux fois par an, j'effectuais une visite de mes sites. J'étais amené à passer à Edjeda, Fotadrevo, Bekily, Isoanala, Betroka... petites localités du sud. Les pistes étaient en très mauvais état et il m'arrivait d'être obligé de prendre 2 jours pour aller de Betioky à Betroka pourtant seulement distant de 300 km. Je m'arrêtais alors à Bekily dans un petit hôtel décrépi mais sympathique, au bord de la rivière Menarandra, l'Hôtel "La Caravane Club", où j'étais en général l'unique client. Le charmant couple qui tenait le lieu était alors aux petits soins pour moi. Les bungalows comportaient une chambre et une très vaste salle d'eau. En saison des pluies, il fallait parfois bouger un peu le lit pour échapper aux gouttes que le toit n'arrivait pas à arrêter. La salle de restaurant semblait un peu branlante. L'ensemble était rustique mais propre et les propriétaires fort sympathiques.

Mes deux stagiaires du DEA d'entomologie de Tuléar.

A gauche, Arsène en tenue bariolée verte, en compagnie de Victor, mon prospecteur (polo rouge), et d'une chercheuse du FOFIFA (accroupie). A droite, Abdou au cours de ses échantillonnages de larves, dans un campement de fortune fait de paille qui lui permettra de passer la nuit en pleine brousse.

Grâce à ma collaboration avec l'université de Tuléar, j'avais pu engager deux stagiaires et encadrer leurs travaux de DEA (diplôme d'étude approfondie, suivant la maîtrise) entre avril 2006 et début 2008. Arsène Indriambelo devait réaliser des enquêtes auprès des populations rurales dans un maximum de localités de l’extrême-sud du pays afin de préciser le cycle biologique du criquet nomade et ses particularités locales. Abdou Chamouine, d'origine comorienne, devait étudier l'influence de la densité des populations de larves de criquets nomades sur leur coloration, ce que l'on appelle le polymorphisme phasaire, très mal connu chez ce criquet. Ces étudiants motivés, débrouillards, très à l'aise sur le terrain, et qui plus est, naturellement, parlant malgache, me firent un travail extraordinaire grâce auquel je pu utilement compléter les résultats obtenus par ailleurs.

L'un des villages ayant fait l’objet des enquêtes d'Arsène : Ambararata, dans la sous-préfecture de Bekily.

A droite, et quelques unes des personnes interrogées.


Arsène conduisit ses enquêtes en milieu paysan en pays Mahafaly et Antandroy. Il visita au total 31 communes et 102 villages, interrogeant 471 personnes. Ses données me permirent de préciser la localisation des zones de reproduction du criquet nomade et ses migrations saisonnières. J'ai largement utilisé les résultats d'Arsène pour une publication scientifique, parue en 2011 dans le Journal of Orthoptera Research, et faisant une synthèse de 8 années de travaux sur le criquet nomade à Madagascar [2]. Abdou, de son côté, utilisa une méthode simple de description de la pigmentation des larves. Pendant 2 saisons des pluies (2006-2007 et 2007-2008), il échantillonna un grand nombre de populations larvaires de densités très variées, des plus basses (moins de 1 larve/m2) aux plus fortes (plus de 150 larves/m2). Au total il décrivit précisément la pigmentation de 1147 larves (toutes photographiées), dégagea une typologie très nette, reliant les divers types pigmentaires à la densité de la population larvaire et donc aux divers états phasaires du criquet. Là aussi, je pu utiliser les résultats obtenus dans un travail publié en 2011 dans la revue Psyche, la plus ancienne revue américaine d'entomologie, fondée en 1874 par le Cambridge Entomological Club [3]. Au final, grâce à ces deux étudiants, j'avais mes résultats.

Abdou et sa moto.

A gauche: la moto est en panne et Abdou continu son trajet en charrette. A droite: Abdou plante sa tente dans un village; plus confortable que l'abri de paille vu plus haut.

A gauche, Abdou collectant des larves de criquet nomade et, à droite, interrogeant les habitants d'un village.


Cependant, tout n'était pas rose, loin de là. Autant la maîtrise du travail de terrain de mes stagiaires était excellente, autant le travail d'analyse et de rédaction laissa à désirer: manque de rigueur, procédures brouillonnes, approximations, erreurs... Je dû vérifier l’ensemble des données et refaire toutes les analyses. Par ailleurs, l'ébauche de leur manuscrit de rapport de DEA me montra une rédaction très sommaire, tant au niveau du plan que du contenu, ainsi que du français le plus souvent très approximatif. Au final, je dû tout reprendre et tout rédiger de nouveau... mais c'était également mon job de maître de stage que de ne pas les laisser patauger trop longtemps et de les aider à remettre un document présentable. Et leur DEA fut accepté.

Quelques unes des centaines de personnes interviewées par mes stagiaires dans le sud de Madagascar, en pays Mahafaly et Antandroy.

Je fis bien sûr partie du jury lors des soutenances. Exposé de l'impétrant, questions des membres du jury, délibération, énoncé du verdict - reçu, bien sûr - et remise du diplôme par le président du jury. Et là... les festivités commençaient, car toute la famille était là, et il y avait bien 50 personnes. Les jeunes filles commencèrent par distribuer des cadeaux aux membres du jury. Je me vis attribuer un énorme paquet emballé dans un papier à fleurs mauves et fermé avec un ruban vert. Dedans, une natte tressée en paille écru et mauve, avec un dessin de criquet. Suivirent les "kabary", les discours des anciens, puis enfin la collation. Et mes deux astucieux stagiaires l'avaient bien méritée.

Enoncé du verdict du jury lors de la soutenance de DEA de Arsène Indriambelo, à l'université de Tuléar.

Quelques photos de larves de criquets nomades prises par Abdou.

Les différences de couleurs sont le résultat de la densité des populations au sein desquelles les jeunes criquets ont grandi. En faible densité, la coloration générale est plutôt verte. En très forte densité, elle devient très bariolée, constituée d'un mélange d'orange, de jaune et de noir.

[1] Schulten G.G.M., Dobson H., Lecoq M., de Miranda E.E., Peveling R., 1999. Madagascar. Mission de formulation d'un programme de lutte antiacridienne à court, moyen et long termes. Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, Rome, 119 p.


[2] Lecoq M., Andriamaroahina T.R.Z., Solofonaina H., Gay P.E. 2011. Ecology and population dynamics of solitary Red locusts in Southern Madagascar. Journal of Orthoptera Research 20(2): 141-158.


[3] Lecoq M., Chamouine A., Luong-Skovmand M.H. 2011. Phase-Dependent Color Polyphenism in Field Populations of Red Locust Nymphs (Nomadacris septemfasciata Serv.) in Madagascar. Psyche - A journal of Entomology, Volume 2011, Article ID 105352, 12 pages. doi:10.1155/2011/105352


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