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Grosse fatigue

J’ai déjà raconté les grandes lignes de mon séjour au Niger en 1991 pour l’opération GOELAN (voir « Opération GOELAN »)… mais seulement les grandes lignes ! Il ne me semble pas inutile de donner quelques détails sur diverses « péripéties ». J’étais alors le responsable scientifique de cette expédition financée par le Ministère français des affaires étrangères. Il s’agissait d’installer un « Groupement Opérationnel Expérimental de Lutte Anti-acridienne au Niger » - GOELAN - en pleine zone désertique du Tamesna nigérien. L’objectif était d’abord de tester l'adaptabilité au milieu désertique d’un dispositif qui avait été déployé par la France en 1989 et 1990 dans les zones de cultures sahéliennes d’Afrique de l’Ouest pour aider les pays concernés à lutter contre le criquet sénégalais. Il fallait maintenant voir ce que cela allait donner en milieu saharien, habitat habituel d’un criquet ravageur majeur, le criquet pèlerin. Nous devions également étudier les relations entre ce criquet et la végétation saharienne lui servant d’habitat et de nourriture. Et pour cela, utiliser des données satellitaires.


La période choisie était loin d’être idéale. J’avais cru comprendre qu’il convenait d’utiliser rapidement, avant la fin de l’année 1990, un reliquat de crédits. Et donc d’engager cette opération à un moment qui, sur un plan strictement scientifique, pouvait sembler particulièrement inopportun. En pleine saison sèche, en janvier et février 1991, la probabilité d’observer tant des criquets que de la végétation était en fait extrêmement faible. Mais qu’importe, pour des raisons administratives l’opération devait commencer immédiatement dès la fin décembre. L’un de mes collègues partit ainsi pour le Niger le 29 décembre. Je le rejoignis avec un autre collègue au début du mois de janvier 1991.

Lors d'une prospection en hélicoptère, au coeur du massif de l'Iguidi.

18 janvier 1991 17°46'365N - 5°50'590E.

Au Niger, notre base terrain est située au cœur du Tamesna, à In Abangharit, sur l’ancienne piste reliant Agadez à la frontière algérienne, non loin d’un ancien point d’appui de l’OCLALAV, vieille organisation de lutte contre les criquets maintenant disparue (voir « A famous locust organization of the past »). Le premier puits est à 15 kilomètres. La zone est d’une platitude absolue. D’un bout à l’autre de l’horizon, on n’aperçoit qu’un reg immense. Pas un arbre, pas un brin d’herbe. Que des cailloux en ce cœur de saison sèche. Et pourtant je suis là pour étudier les habitats du criquet pèlerin. Ce n’est pas la moindre des contradictions de cette mission. Je dois explorer cette vaste zone saharienne, en voiture, en hélicoptère, en avion, effectuer des relevés réguliers des traces de végétation que l’on peut encore observer, et tenter d’effectuer des corrélations avec des images satellitaires. Une gageure en cette saison!


La veille radio permanente au campement GOELAN d'In Abangharit

(Maurice Balmat et Jean Roy à gauche, Michel Lecoq à droite).

En effet, la végétation des zones désertiques du Sahara méridional est caractérisée par sa fugacité. Si l'on fait exception des plantes vivaces, les annuelles apparaissent brusquement après les pluies, se développent avec rapidité, accomplissant leur cycle végétatif complet avant que le sol ne se dessèche, c'est-à-dire en quelques semaines, puis meurent. Toute verdure disparaît donc très tôt après les pluies. A l’exception des pâturages à Schouwia, crucifère bien connus des éleveurs, excellent aliment pour les chameaux mais aussi pour le criquet pèlerin auxquels ces plantes offrent des conditions exceptionnelles de survie, parfois jusqu'en mars. Mais en janvier 1991, le Schouwia est rare, très rare. Quelques pieds par endroit. Mais l’impression générale est d’une très grande sécheresse.

Paysage du campement GOELAN au lieu dit In Abangharit.

Quoi qu’il en soit, le camp est fort bien équipé, trop bien peut être ? Grandes tentes, groupe électrogène, congélateur, un camion Unimog TT, 4 véhicules tout-terrain, un avion de reconnaissance Piper Apache bimoteur pour des photographies aériennes (une piste d’aviation a été aménagée au milieu du reg), un hélicoptère Bell 206 pour aller prospecter tous les endroits impossibles à atteindre au sol. Et du matériel de communication : 2 postes radio HF ICOM IC-735 de 100 W pour les liaisons avec Agadez et Niamey, et 2 postes radio VHF pour les liaisons avec les aéronefs. L’ensemble du camp est géré à merveille par un collègue responsable de la logistique. Au total il y a 19 agents nigériens du centre national antiacridien et 8 agents expatriés venant de France, dont Denis et Hubert, respectivement pilote de l’hélicoptère et de l’avion. La température est très fraîche la nuit (voisine de 5°C.) et monte rapidement dans la journée pour frôler les 40°. Jour après jour, je trace les itinéraires de prospection (en hélicoptère ou en voiture). Je quadrille littéralement tout le Tamesna entre le 18 janvier et le 7 février. J’effectue ensuite des prospections terrestres dans le massif de l’Aïr, dans la région d’Iférouane entre le 9 et le 13 février, puis au nord d’Agadez, également dans l’Aïr, du 16 au 19. Et chaque soir, dans ma tente, je rentre tout habillé dans mon sac de couchage beaucoup trop mince pour les températures nocturnes sahariennes. Et chaque soir, j’imagine de possibles incidents et, en particulier, comment nous pourrions réagir et nous échapper en cas d’attaque du campement… car la zone est réputée peu sûre.

Itinéraires de mes prospections aériennes en hélicoptère (à gauche) et au sol (à droite).

En ligne droite, In Abangharit est à environ 250 km d'Agadez et à 170 km d'Arlit.

Et malheureusement, quelques « incidents » ont effectivement émaillé ce séjour. Tout d’abord, l’hélicoptère est tombé en panne. A peu près vers la fin des travaux, alors que j'effectuais une prospection aérienne avec le pilote Denis et un prospecteur touareg, Kizaou Amoumoune, le moteur s’est arrêté en plein vol. Je faisais toujours mes prospections selon un itinéraire déterminé à l'avance sur carte et je me posais plus ou moins régulièrement dans les endroits qui pouvaient être intéressants pour mon criquet pèlerin. A l’un des arrêts, 30 secondes environ après le décollage, le moteur a été pris de violents soubresauts, obligeant le pilote à l’arrêter et à poser l'engin en auto-rotation. Le choc à l’atterrissage ne fut pas trop violent. Le pilote a ensuite essayé de faire repartir le moteur, nous demandant de bien attacher nos ceintures et nous donnant quelques consignes de sécurité. Le moteur est effectivement reparti à la première tentative, mais avec de telles vibrations que le pilote a préféré tout couper immédiatement. Et alors que faire? Un appel à la radio? Oui, mais rien ne passait. L'antenne était trop basse. Il nous avait semblé, juste avant la chute, apercevoir une tente touareg à quelques kilomètres. C'était sans doute la possibilité de pouvoir installer l'antenne un peu plus haut. Et nous voilà partis, à trois, avec la radio et la batterie de l'hélico. Et une batterie c'est lourd… surtout lorsqu'on marche dans le sable par plus de 40°C à l'ombre, et que l'on n'a qu'une très vague idée de l'endroit vers lequel on se dirige. Mais après 1/2 heure de marche environ, miracle, un chamelier apparaît. Nous avons placé la batterie et la radio sur le chameau et avons continué jusqu'au campement. Et là, effectivement, nous avons pu installer la radio et communiquer avec notre base à In Abangharit à une centaine de kilomètres de là, à l'est des dunes de l'Iguidi. Notre logisticien a alors pu dépêcher très rapidement des moyens de secours. Il n'y avait plus qu'à attendre une voiture, qui est arrivée après quelques heures. Je suis retourné directement à In Abangharit de nuit, traversant les champs de dunes de l‘Iguidi que mon chauffeur avait l’air de connaître comme sa poche, naviguant dans le sable comme sur du bitume. Au final, nous avions eu de la chance. Car sans ce chamelier...


Quant à l'hélicoptère, le moteur était hors d'usage et il fallu le changer. Faire venir un nouveau moteur de France jusqu'à Agadez par avion, l'acheminer en voiture sur place, là où l’hélico était resté, en plein milieu des sables du Tamesna. Et là installer un atelier improvisé pour effectuer le changement sur le lieu même de la panne. Facile ! En fait l'hélicoptère avait effectué des traitements aériens en zone sahélienne pendant les mois précédents et, même si les normes d'entretien françaises avaient été respectées, le sable du Sahel avait dû endommager le moteur.

Paysages du Tamesna

A gauche le 21 janvier au NE d'In Abangharit ; à droite dans les dunes de l'Iguidi le 28 janvier par 17°46'365N - 5°50'590E.

Paysages du Tamesna vus depuis l'hélicoptère 26 janvier 1991.

Coordonnées de la photo de gauche: 18°7'063N - 5°28'538E.


Quelques jours plus tard, je fus pris d’une grosse fatigue. Il me semblait avoir une baisse de tension. Je passais la journée sous la tente, sur mon lit de camp. Puis le lendemain, je pris un chauffeur pour aller chez un médecin à Agadez. En fait ma tension était montée à 20. Après toutes les émotions des jours précédents, j’avais besoin d’un peu de repos. Je passais 2 jours sur place dans un hôtel puis regagnais le campement. Mais les émotions n’étaient pas finies. Le pire était à venir avec l’attaque du campement par des brigands touaregs. J'ai pu échapper à cette triste aventure car j'étais parti deux jours plus tôt en 4x4 avec mes deux collègues du CIRAD pour une tournée dans le massif de l'Aïr. C’est en passant à Agadez, le 19, pour se ravitailler en carburant, qu'une personne de la gendarmerie nous a abordé pour nous informer que le camp avait été attaqué. L’attaque aurait eu lieu la veille, le 18 février vers 21 heures, alors que le campement devait être fermé le lendemain. Une troupe de personnes en treillis militaires, arrivées à bord de deux Toyota a investi le campement. Notre logisticien a été de suite tué par balle. Deux véhicules, du carburant et une partie du matériel ont été volés. L’avion a été mitraillé et les pneus des camions crevés. Les deux pilotes, encore présents sur le campement, ont échappé aux attaquants en s’enfuyant à pied dans la nuit. Ils ont réussi le lendemain à réparer l’avion tant bien que mal et à donner l’alerte à Agadez où ils sont arrivés le 19 vers 13 heures. Un peu plus tard, une partie du personnel a pu remettre le camion en état de marche pour ramener le corps du logisticien à Arlit dans la soirée du 19.

Quelques échantillons de la faune locale: gazelle et vautour Ouricou.


L’attaque du campement a été relatée par le pilote, Hubert Chouvenc, dans son livre « Pilote de brousse » paru aux éditions du Miroir en 1998. Il décrit les événements très en détail. Les voitures qui approchent dans la nuit, des détonations qui résonnent dans le silence, des cris, des hommes en treillis qui surgissent, la fuite éperdue dans la nuit, en caleçon et pied nu. Et toujours des bruits de moteur, des détonations, des cris, le pillage du camp, le mitraillage de l’avion et de l’hélicoptère. La peur d’être pris en chasse et aucun endroit pour se cacher dans cette immensité plate. Puis la dissimulation dans un trou creusé rapidement dans le sable et le froid de la nuit. Enfin, les assaillants étant partis, le retour au campement détruit. La découverte du corps sans vie du logisticien. La rencontre avec les autres membres, nigériens, de l’équipe qui déclarent « Ils voulaient tuer les blancs. Nous, ils nous ont volé et battu ». Un premier bilan de la situation : tous les 4x4 volés ainsi que les radios, plus de gaz-oil, presque plus de nourriture. L’envoi d’un mayday avec la radio de l’avion encore utilisable… jamais reçu. Le rafistolage de l’avion pour tenter de le faire redémarrer et décoller, malgré les roues crevées, des fuites diverses, le pare-brise endommagé, des hélices ayant souffert et des freins hors d’usage… et malgré tout l’avion qui finit par décoller et nos deux pilotes qui arrivent à rejoindre Agadez pour donner l’alerte.

Quelques échantillons de la faune locale: gangas tachetés et percnoptère.

En fait, le climat d’insécurité régnant dans la région était bien connu. Les autorités nigériennes avaient officiellement donné leur accord pour l’opération, cependant dès notre arrivée sur place, nous avons été informé que la zone était peu sûre, ce qui n’avait pas été signalé au départ par les commanditaires. Le directeur du Centre antiacridien avait demandé, par la voie hiérarchique au Ministre de l’agriculture nigérien, une surveillance militaire renforcée pour la protection de l’opération… ce qui n’avait pas été obtenu. De son côté, le sous-préfet d’Arlit avait signalé aux responsables de l’opération dès la mi-janvier, les risques encourus du fait du climat d’insécurité croissante dans la région. Ces risques avaient de nouveau été soulignés lors de notre passage chez le sous-préfet d’Arlit le 9 février, ainsi qu’au poste de gendarmerie et au poste administratif d’Iférouane le 11 février. Quinze attaques de véhicules auraient eu lieu officiellement dans le département d’Agadez en moins de 2 mois, certains parlant officieusement d’une cinquantaine ! Le représentant CIRAD au Niger avait prévenu depuis longtemps de l’insécurité dans la zone nord d’Agadez. Le 14 février, l’Ambassade de France au Niger conseillait de ne pas dépasser le nord de cette ville. Même la route Agadez-Tahoua était considérée comme peu sûre. Sans un concours de circonstance très particulier ayant permis à une partie de l’équipe de ne pas être présente sur le site au moment de l’attaque et aux pilotes d’échapper miraculeusement aux assaillants, les pertes humaines auraient pu être bien plus lourdes. Oui, vraiment, une grosse fatigue que cette mission dont, avec mes collègues, nous avons mis un certain temps à nous remettre.

Quelques échantillons de la faune locale: autruches et cigognes.

Dans le massif de l'Aïr, à gauche, mon chauffeur Stéphane, au sud d'Iférouane le 10 février et, à droite, sur le site de l'ancienne ville Assodé (18°27'205N-8°35'862E) le 11 février.

A gauche: 8 janvier, Tamesna, puits de Tazermat par 18°16'388N - 6°36'428E.

A droite: au nord d'Agadez le 19 février, M.N. de Visscher, Michel Lecoq, Giles Balança et une partie du personnel du centre antiacridien.

A gauche: Aguelal, Tamesna, 12 février; au loin le massif de l'Aïr. A droite : chamelier au puits de Taggart, Tamesna, 30 janvier.

A gauche: entre Iférouane et Assodé, Aïr, le 12 février. A droite: chameliers dans le massif de l'Aïr.

Dans le massif de l'Aïr - A gauche, coucher de soleil près d'Iférouane le 9 février (19°00'241N-8°18'913E).

A droite, paysage au nord-est d'Agadez le 19 février.

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