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Le pavé de mai 68


Je ne résiste pas au plaisir partager le discours que j'ai prononcé au CIRAD, le 10 mai 2011, à l'occasion de mon pot de départ en retraite:


"Tout d’abord, merci à tous. Merci de votre présence en cette occasion qui vient clôre une carrière de plus de 40 années dont 36 au CIRAD, puisque c’est en 1975 que j’ai rejoins ce qui était à l’époque le GERDAT, le Groupement d’étude et de recherche pour le développement de l’agronomie tropicale. Et c’est en 1975 que j’ai été rattaché administrativement à l’IRCA, à l’Institut de recherche sur le caoutchouc en Afrique! Peu de rapports avec les criquets. Inutile de vous dire que je n’ai jamais travaillé sur l’hévéa, mais l’IRCA a été, à l’époque, un cadre de travail tout à fait sympathique.


Je voudrais tout d’abord remercier Xavier Mourichon pour ses paroles fort aimables, trop aimables. Je ne suis pas sûr de toutes les mériter. Mais enfin cela fait toujours plaisir à entendre. Et au travers de Xavier je voudrais remercier le CIRAD et sa direction. Le CIRAD m’a offert un cadre de travail tout à fait exceptionnel et une grande liberté d’action.



Je voudrais naturellement remercier tout particu-lièrement la direction de mon département, le département BIOS, pour sa confiance et pour son soutien constant qui ne se sont jamais démenti au fil des années et ceci quels que soient les directeurs de département successifs, à commencer par Jacques Meunier en 1997, puis Vincent Dollé, Gérard Chuzel, Anne-Yvonne Le Dain, Jean-Christophe Glazzman et Daniel Barthelemy. Et merci à Xavier Mourichon qui a été depuis 98 mon correspondant privilégié et bienveillant au sein de ces directions successives de département.


Si je jette un petit coup d’oeil sur ma carière, sur ces 43 années, je pense que j’ai eu beaucoup de chance et que ce fut un ensemble de très belles aventures.


Certains se sont peut être demandé pourquoi j’avais, dans mon bureau, une petite effigie de Tintin ainsi que la fusée lunaire de “On a marché sur la Lune” ? Ce n’est pas seulement nostalgie du passé et de ma jeunesse. Tintin, c’est le jeune reporter qui parcours le monde d’aventure en aventure. Et la recherche au CIRAD, je l’ai un peu vécue comme cela. J’ai passé une grande partie de mon temps à aller traquer les criquets aux 4 coins du monde: j’aurais pu écrire “Michel à Madagascar”, “Le Vol 717 pour In Abangharit ne répond plus”, ou bien encore “Le Mystère du criquet des Nambikwaras.” J’ai travaillé dans pas mal de lieux exotiques, voire atypiques pour un entomologiste. Que ce soit auprès des agriculteurs du Burkina, du Niger, du Soudan ou de Sumatra, qu’auprès des fazendeiros, des chercheurs d’or et des indiens au Brésil. Juste une anecdote. En 1992, alors que j’étais au Brésil, j’ai été jusqu’à fréquenter pendant quelque temps les presbytères et les maisons de retraite des pères salésiens au Mato Grosso. Le chercheur brésilien qui m’accompagnait se demandait bien ce que l’on pouvait aller faire là. C’est très simple. Les zones de pullulations du criquet qui m’intéressait n’étaient habitées au début 20ème siècle que par des indiens – les Parecis et les Nambikwaras – et n’étaient fréquentées à cette époque que par des chercheurs d’or et des missionnaires, dont les salésiens. Et ces derniers ont pu me fournir des témoignages clés sur les pullulations de criquets au début du 20ème siècle dans ces régions reculées, à un moment où j’avais besoin de prouver que ces pullulations étaient anciennes et non pas liées au développement récent de l’agriculture.


Pour toutes ces “aventures”, ces observations, ces expérimentations, ces publications, ces congrès, ces formations… enfin tout ce travail scientifique qui est à la base de nos activités au CIRAD… je n’ai jamais été seul. Depuis le début j’ai travaillé en équipe, avec des collègues français, avec des collègues étrangers très souvent. Cette équipe ce fut d’abord celle du Prifas, puis, à partir de 1997, les collègues de l’unité d’acridologie qui m’ont accompagné pendant près de 15 ans et avec lesquels j’ai eu le privilège de travailler.


Je voudrais les remercier tous, globalement et très chaleureusement. Les remercier de leur confiance, de leur enthousiasme. Je crois que nous avons fait ensemble d’assez belles choses.


Mais je voudrais également adresser des remerciements tout particulier à ceux qui m’ont plus spécialement épaulé au jour le jour, ceux qui m’ont aidé “à faire tourner la barraque”: Pierre-Emmanuel Gay et Antoine Foucart pour tous les aspects informatiques et techniques, et Laurence Schmitt, pour tous les aspects administratifs et financiers. Avoir des collègues talentueux et fiables, sur lesquels on peut compter au jour le jour, est vraiment un élément clé de la bonne marche d’une équipe.


A cette équipe rapprochée, je voudrais associer une personne avec laquelle j’ai eu le privilège de travailler pendant un trop court laps de temps, de quelques mois. Il s’agit de Frédérique Espinasse qui m’a en particulier épaulé, avec les 3 collègues précédents, pour préparer le congrès international d’Orthoptérologie que nous avons réalisé à Montpellier en 2001, pour le compte de la Société internationale des Orthoptéristes.


Je veux évoquer rapidement cet événement. Ce congrès, ce fut une expérience formidable, mobilisatrice dans une période de transition où nous en avions bien besoin, et une expérience très enrichissante intellectuellement. Grâce à cette équipe rapprochée, nous avons pu réaliser un congrès qui pour la première fois dans l’histoire des meetings sur les Orthoptères – et il y en a eu de nombreux depuis les années 20 - a dépassé les 200 personnes, avec des participants issus de 40 pays, des professeurs d’université, des chercheurs, des techniciens de la lutte antiacridienne, des étudiants, des représentants de firmes phytosanitaires... Ce congrès reçu une très large couverture médiatique. Nous avons, depuis, organisé d’autres congrès, mais celui-ci, à Montpellier, est un congrès dont beaucoup, lorsque je voyage, me parlent encore avec nostalgie comme d’un événement qui les a marqué.


A tous ces collègues et amis de l’unité d’acridologie, je renouvelle ici très chaleureusement et très amicalement mes remerciements les plus sincères.


Mais je voudrais également exprimer un regret, celui de partir à un moment crucial de la vie de cette équipe d’acridologie, moment marqué par un renouvellement de génération, par le recrutement récent de jeunes chercheurs, par l’ouverture vers de nouvelles disciplines que je considère comme des disciplines d’avenir pour l’étude des problèmes de criquets ravageurs: la génétique des populations, la modélisation multi-agents, la télédétection, et j’en passe. A toute cette nouvelle équipe, je souhaite de poursuivre avec succès les travaux engagés. Le CIRAD est un formidable cadre de travail. Je sais que tous mes collègues sont talentueux et je leur souhaite bonne chance pour de nouveaux défis que je sais à l’avance passionnant. J’espère malgré tout pouvoir en suivre les développements… voir participer à certains d’entres eux.


Quelques mots pour évoquer, brièvement, quelques souvenirs personnels et suivre la tradition de ce genre d’événement.


Je voudrais évoquer les tous débuts de ma carrière. Donc avant le CIRAD, avant le GERDAT. Je ne vais pas remonter au déluge mais presque…. à une époque où j’étais étudiant, puis coopérant français, puis assistant technique du ministère de la coopération à Madagascar.


Juste une annecdote qui me paraît significative de l’époque.


Mon début de carrière sur les criquets remonte à 1968. J’avais sans doute dû prendre un pavé sur la tête lors des manifs et – très temporairement - perdre un peu la raison, car mai 68 ce fut à peu près le moment où j’ai signé le contrat qui devait m’engager dans les criquets pour le reste de ma carrière. Engagez-vous, rengagez-vous ! Ce pavé, je l’ai conservé et le voici….


Le pavé de mai 68


Mai 68, ou juin, c’est donc l’époque où j’ai signé un contrat de deux années pour passer un DEA puis une thèse de 3ème cycle à l’université d’Orsay. La partie recherche de terrain devait se dérouler dans le sud de Madagascar, dans l’aire grégarigène du criquet migrateur. Une zone où nous avons depuis beaucoup travaillé. J’ai donc passé mon DEA en juin 69 après une année passée entre Orsay et Paris, la fac de Jussieu, le Muséum, l’Institut Pasteur. Des patrons qui s’appelaient Jean-René Le Berre et Joseph Bergerard. Donc “la vie parisienne” et aucune expérience de l’étranger et encore moins de l’outre-mer et du terrain.


Et bien dès septembre 69, je prenais l’avion à Orly. Un Boeing 707. Une quinzaine d’heures plus tard, j’étais reçu à Madagascar à Tananarive par Jean-Paul Têtefort, directeur de recherche à l’ORSTOM et responsable des recherches sur le criquet migrateur dans le pays. Une nuit à l’hôtel et le lendemain matin nous prenions la route dans une petite Renault 4 beige. Une journée de route pour atteindre Fianarantsoa, une autre pour rejoindre Betioky, dans le sud du pays. Après un tonneau sur une mauvaise piste en terre. Et puis une autre journée pour rejoindre Betroka, encore plus loin, et à 25 km de là, Bepeha, un petit village complètement perdu au milieu du plateau de l’Horombe et de ses vastes étendues de savannes. Mais, Bepeha n’était pas encore la destination finale. Nous avons fait un kilomètre au delà du village et là… nous sommes arrivés au milieu de nulle part. Quelques eucalyptus, 4 ou 5, et rien d’autre. Nous avons planté nos tentes, mes 2 véhicules – une veille jeep Willis et la Renault 4 - un bidon de 200 l d’essence, nous avons capté une source qui se trouvait à une centaine de mètres.


Inutile de dire que l’environnement scientifique était assez réduit. Pour que tout cela fasse un peu sérieux, je mis à l’entrée du campement une pancarte indiquant qu’il s’agisait là d’une annexe de la faculté des sciences d’Orsay. La piste y donnant accès étant baptisée “Piste Jean-Renée Le Berre”.

La station acridienne de Bepeha et l’entrée de la piste Jean-René Le Berre


Et je suis resté là 9 mois, avec un chauffeur, un manoeuvre et un gardien à observer les criquets dans ces immensités perdues. Et des criquets, il n’y en avait pas beaucoup. Evidemment, c’était là une vie bien différente de la vie parisienne, une vie à laquelle rien ne m’avait préparé. Et l’aventure aurait pu s’arrêter très vite. En effet, la première chose que je fis fut d’entourer notre petit campement d’une barrière pare-feu. Bien m’en pris car, quelques heures plus tard, un feu de brousse se déclencha de nuit à quelques kilomètres, passa sur le campement, ne laissant autour de nous qu’un paysage calciné et noirci. Voilà pour mes premiers contacts avec les tropiques et les criquets. Mais au bout de 9 mois j’avais les données, les fameuses données, qui me permirent de soutenir ma thèse de 3ème cycle.


Je vous passe la suite, ma thèse d’état fut encore plus épique avec une révolte paysanne, les gardes de nuit avec les militaires à côté des caisses de grenades et la menace des attaques. Et puis, du fait de la situation politique à Madagascar, les données de ma thèse sorties en fraude du pays sous la forme de lettres, de cartes postales, de microfilms expédiés à toute ma famille un peu partout en France sous la forme de dizaines d’envois. Et puis, une fois rentré, la reconstitution du puzzle pour rassembler et analyser les données.


La suite fut en grande partie à l’avenant. Mais ce fut une aventure passionnante.


Pour terminer, j’ai apporté avec moi mon “kit de survie acridologique”. Celui qui m’a permis de survivre à 42 années avec les criquets. Je voudrais pour la première fois vous révéler ce secret et le transmettre à mes successeurs. Ce kit, le voici:

La malette de survie acridologique.

[endif]--Une simple malette, un peu style VRP années 60, mais à l’interieur on trouve tout le nécessaire :à commencer par le tome 1 de l’ouvrage fondamental de Sir Boris Uvarov, le père de l’acridologie, exemplaire qui m’a été remis en 1968 dans une sorte d’intronisation à l’acridologie; un ouvrage pour tout savoir partout et en tout lieu sur les criquetsun criquet géant… pour effrayer les essaims comme bon nombre de marabouts africains savent le faireun freesbee pour assommer les criquets en volet puis surtout, pour se remonter le moral, si besoin était:une grande poignée de criquets séchésune bouteille de la bière du criquet, la fameuse bierre “Grasshopper” fabriquée par la brasserie Le Coq au Canada, dans l’Alberta, ça ne s’invente pas, et puis naturellement un bock à bière avec un criquet pour la déguster.


Mais attention, ce kit, ce n’est pas seulement une plaisanterie. C’est aussi une excellente métaphore de ce qui est nécessaire pour faire de la bonne recherche sur les criquets. Pour moi, pour faire de la bonne recherche sur les criquets, il faut des connaissances scientifiques solides, il faut de la pédagogie en tout, il faut une bonne capacité de résistance sur le terrain, il faut beaucoup de diplomatie et d’empathie, et puis surtout il faut également savoir prendre un peu de recul et une bonne dose d’humour.


Encore merci à tous."

Discours de Xavier Mourichon

Discours de Michel Lecoq

L'assistance

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