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Le premier orthoptériste et autres dieux

Août 2001, avec le professeur Théodore Cohn, président de la société, je présente le gâteau aux participants du dîner de gala clôturant le congrès de la Société internationale des orthoptéristes. Le logo de la société - un criquet tenant dans ses pattes le globe terrestre - figure en bonne place sur ce gâteau. L'événement se déroule à la manade du Ternen à Candillargues, sur le bord de l'étang de l'Or, à quelques kilomètres de Montpellier.


L'aventure a commencé quelques mois plus tôt. Organisant le congrès, il me fallu trouver un lieu pour le dîner de clôture. Le choix se porta rapidement sur une manade typique de la région et des traditions camarguaises. Encore fallait-il en choisir une suffisamment attrayante et située pas trop loin de la ville. Après avoir visité nombre d'entres-elles, le choix se porta sur la manade du Ternen qui disposait de locaux sympathiques à la fois pour le dîner, l'apéritif et les animations.

Présentation du gâteau par l'organisateur et le président de la société.

Le congrès fut clôturé le vendredi 22 août en fin d'après-midi. Les bus nous attendaient à la porte du Corum - le palais des congrès de Montpellier. Quelques dizaines de minutes plus tard, nous étions en Camargue, à la porte de la manade. Les congressistes furent accueillis par une double rangée de gardians à cheval, en tenue traditionnelle, chemise de couleur vive imprimée de petits motifs, trident* à la main. Puis vint l'apéritif avec explication des traditions camarguaises, brasucade de moules évidemment, danses gitanes, spectacle à cheval dans les arènes et, dans les près alentours, démonstration par les gardians de leur travail avec les taureaux, les biòus comme on les nomme en provençal. A cette occasion, je fus amené, devant l'ensemble des participants, à stopper de la main un de ces biòus se précipitant vers moi. En réalité, l'affaire avait été montée avec le propriétaire de la manade, le taureau était bien dresssé et avait l'habitude de cette démonstration. Ce qu'il venait chercher vers moi, c'était un morceau de pain que je tenais caché dans ma main. Mais cela faisait son petit effet.

Entrée dans la manade du Ternen: les gardians font une haie d'honneur aux participants.

Présentation de la manade par le propriétaire et apéritif.

Au cours du dîner, je fus amené à prononcer le traditionnel discours, en anglais bien sûr. J'avais essayé de mettre en avant les histoires locales concernant les criquets. Je commençais par évoquer celui que j'ai appelé "le premier orthoptériste" avec la première représentation connue d'un insecte, un grillon - du genre Troglophylus - retrouvé gravé sur os de bovidé dans la grotte des Trois Frères, dans l'Ariège, gravure datée de l'époque magdalénienne, il y a environ 17000 ans.



Je continuais avec une évocation des "Les lettres de mon moulin" d'Alphonse Daudet, ouvrage dont une des nouvelles est intitulée "Les sauterelles" et est consacrée à l'arrivée d'un nuage de criquets pèlerins sur un petit village algérien à la fin du 19ème siècle. En voici un bref extrait: "On allait se lever de table. Tout à coup, à la porte-fenêtre fermée pour nous garantir de la chaleur du jardin en fournaise, de grands cris retentirent: "Les criquets! Les criquets!" Mon hôte devint tout pâle comme un homme à qui on annonce un désastre, et nous sortîmes précipitamment (...) Dans le ciel vibrant de chaleur, je ne voyais rien qu'un nuage venant à l'horizon, cuivré, compact, comme un nuage de grêle, avec le bruit d'un vent d'orage dans les milles rameaux d'une forêt. C'étaient les sauterelles (...) A perte de vue, les champs étaient couverts de criquets, de criquets énormes, gros comme le doigt. Alors le massacre commença. et plus on en tuait, plus il y en avait (...) Cette nuit là je ne pus pas dormir… Le lendemain, quand j'ouvris ma fenêtre comme la veille, les sauterelles étaient parties; mais quelle ruine elles avaient laissée derrière elles! Plus une fleur, plus un brin d'herbe: tout était noir, rongé, calciné."

Démonstration du travail des gardians.

Danses et spectacle dans les arènes.


Puis vint l'évocation du "Dieu criquet" aux confins de la forêt amazonienne, au Mato Grosso au Brésil, chez les indiens Parecis, dans une zone fréquentée et étudiée dans les années 1940 par le célèbre anthropologue français Claude Lévi-Strauss. Chez ces indiens existe un "Dieu Criquet", deuxième divinité par ordre d'importance et d'apparition sur la terre. Ce dieu criquet a joué le rôle de Prométhée en donnant le feu aux hommes. Ces indiens Parecis ont sans doute noté, consciemment ou inconsciemment, la relation qui existe entre les feux de brousse et la création d'habitats favorables à la ponte des criquets et à leurs pullulations... et donc à l'apparition d'une ressource alimentaire très importante pour eux dans cette zone très déshéritée.

Dîner à la manade et discours de l'organisateur.

Enfin, je terminais par le criquet sauteur et une petite expérience avec un jouet en forme de criquet rapporté du Brésil. Il s'agissait de simuler une invasion de criquet ainsi que la stratégie de lutte à adopter. Ce criquet, muni d'une ventouse ventrale, à la particularité de pouvoir rester collé au même endroit pendant un certain temps... que j'appelais la période de rémission, de calme, sans invasion de criquet. Cette période peut durer plus ou moins longtemps, puis la ventouse se relâche, le criquet saute soudainement sans prévenir: c'est l'invasion qui prend tout le monde par surprise. Comment lutter ? On peut essayer d'attraper ce criquet lorsqu'il saute, c'est d'ailleurs le but du jeu. Dans ma métaphore, cette tentative de capture manuelle du criquet à la main représente la lutte contre l'invasion. Mais cette capture est assez difficile. Une autre solution existe, la prévention. Il suffit de laisser un doigt sur le criquet pour l'empêcher de sauter. Le seul problème est de savoir combien de temps on peut rester là sans se lasser, le doigt fixé sur le criquet. C'est en fait toute la problématique actuelle de la lutte préventive contre ces insectes. On sait qu'elle est efficace…. mais pendant combien de temps peut-on avoir la patience ou les moyens financiers de la poursuivre ?


* Le trident est l'outil principal du gardian. C'est un fer fixé au bout d'un long bâton, pour se faire obéir du taureau.


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