Sisyphe et l'Arabie heureuse
1992, au Yémen, à Al Hudaydah sur la plaine côtière ouest du pays. L'air est chaud, étouffant, saturé d'humidité comme partout sur les côtes de la mer Rouge... et pourtant nous ne sommes qu'en janvier. Je prends quelques moments de détente sur la plage dont on perçoit nettement qu'elle est décorée de nombreux papiers et plastiques... c'est aussi l'un des charmes de l'Arabie heureuse. Je suis arrivé le 24 janvier et suis là pour un peu plus de deux semaines pour une mission d'assistance au centre national de lutte contre le criquet pèlerin, le "Desert Locust Monitoring and Control Center" (DLMCC ). Après un bref séjour à Sanaa et un contact avec les autorités locales, je suis descendu en voiture des hauteurs de la capitale à la plaine de la Tihama, cette étroite bande côtière qui borde la mer Rouge sur une largeur de 40 à 70 km. Avec deux collègues du CIRAD nous dispensons des cours de formation sur l'écologie du criquet pèlerin et les stratégies et techniques de lutte. Ces cours sont évidemment traduits en arabe par un collègue d'origine marocaine. Les différences linguistiques avec le Maroc provoquent sans cesse des problèmes de traduction et divers quiproquos parfois amusants. Dans un de mes cours, l'expression "femelle de criquet immature" a ainsi été traduite par "jeune fille vierge", provoquant évidemment des sourires dans la salle.
Al Hudaydah est la 3ème plus grande ville du Yémen et c'est aussi le siège d'une importante base terrain du centre de lutte contre les criquets dont le rôle est d'effectuer la surveillance des zones connues comme favorables à la reproduction du criquet pèlerin - Schistocerca gregaria Forsk. - et de mettre en oeuvre une stratégie de lutte préventive. Dans ce cadre, la zone de la Tihama a une importance stratégique et doit être particulèrement surveillée. La théorie est simple, mais la pratique beaucoup plus difficile, d'autant que le pays est politiquement instable et n'a guère les moyens d'entretenir un centre de lutte sur le long terme, recourant régulièrement à l'assistance internationale.
Le centre antiacridien à Al Hudaydah - A gauche, le cimetière des vieilles voitures et, à droite, le parking des nouveaux 4x4 achetés grâce à un don de la Banque islamique de développement.
A Al Hudaydah, lors de ma visite des locaux du DLMCC, le directeur est très fier de me montrer le nouveau parc automobile, renouvellé récemment grâce à un don de la Banque islamique de développement (la BID) dans le cadre d'un programme d'assistance d'urgence pour la lutte contre le criquet pèlerin. En fait, le renouvellement du parc automobile (et, d'ailleurs, de tous les matériels techniques) est un problème permanent pour tous ces centres de lutte contre les criquets, dans de nombreux pays du proche-orient et d'Afrique. Les achats sont souvent effectués grâce à une aide internationale débloquée pour lutter contre une invasion de criquets. Les véhicules sont ensuite usés jusqu'à la corde dans des conditions d'utilisation souvent délicates dans ces pays désertiques... jusqu'à l'invasion suivante où une aide financière est de nouveau demandée par le pays à la communauté internationale des bailleurs. Les projets de réhabilitation se succèdent, les uns après les autres, un bailleur succédant à l'autre lorsque celui-ci vient à se décourager. Après de nombreuses années d'expérience dans le domaine de la lutte contre les criquets, j'ai l'impression de revivre le mythe de Sisyphe, le héros de la mythologie grecque. Tout est un éternel et absurde recommencement. Dès 1991, je parlais, dans une conférence à Rabat, du cercle vicieux de la lutte contre les criquets. J'ai eu l'occasion de le voir se boucler plusieurs fois de suite dans de nombreux pays, au Yémen, au Niger, à Madagascar et dans bien d'autres. Doit-on, comme Camus, imaginer Sisyphe heureux et trouver notre bonheur dans l'accomplissement de la tâche entreprise et non dans sa signification ?
Le port de pêche d'Al Hudaydah, le plus grand de la mer Rouge, spécialisé dans le commerce d'ailerons de requins.
Al Hudaydah - Architecture typique dans la vieille ville.
Dans la Tihama, plaine côtière de la mer Rouge, des zones de cultures sur sol sableux, milieu très propice au criquet pèlerin.
A Zabid, la vieille mosquée du vendredi datant du XVIe siècle. Classée au patrimoine mondial par l'Unesco, Zabid est une ville de l'ouest du Yémen, sur la plaine côtière de la Tihama, à environ 100 km au sud-est de Al Hudaydah. C'est l'une des plus anciennes cités du Yémen dont elle a été la capitale entre le 13ème et le 16ème siècle.
Villages perchés dans la région de Taïz, en direction de Sanaa. Les routes sont évidemment fort sinueuses dans cette région montagneuse et les à-pics parfois impressionnants. Mon chauffeur, comme la plupart des hommes, consomme des feuilles de "khat", cette plante stimulante (contenant des substances proches des amphétamines) qui lui gonfle les joues mais lui donne également une assurance telle qu'elle m'oblige plusieurs fois à des rappels à l'ordre suite à des dépassements plus que hasardeux.
Région de Taïz - A gauche, ces jeunes ne portent pas encore la "djambia", poignard à large lame recourbée, principal accessoire de la tenue traditionnelle du Yéménite, marquant le passage à l'âge adulte. A droite, minaret à l'architecture typique du Yémen.
Taïz: une mosquée, le fort dominant la ville et une fenêtre typique.
Dans la vieille ville de Sanaa, à 2300 mètres d'altitude - Rue commerçante et architecture typique.
Sanaa - La vieille ville, datant d'avant le 11ème siècle, possède une architecture unique avec plus de 6000 maisons-tours en pisé finement décorées de motifs géométriques en brique et en blanc de chaux.
Itinéraire de ma mission au Yémen en janvier 1992.
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