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Au pays des cangaceiros

1985, Brésil. Je viens d'être affecté auprès du CPATSA, le Centre brésilien d'étude sur le tropique semi-aride dépendant de l'Embrapa, l'organisme brésilien de recherche agronomique. Je vais habiter pendant un an à Petrolina, petite ville de l'état du Pernambuco située sur la vallée du fleuve São Francisco et reliée par un pont à Juazeiro dans l'état de Bahia. J'ai effectué en début d'année, du 9 avril au 25 mai, une première mission de reconnaissance. J'arrive maintenant en famille pour une année de travaux, au coeur d'une zone connue comme le périmètre de la sécheresse au Brésil et qui a été confrontée il y a peu à des pullulations importantes d'un étrange criquet, Stiphra robusta, ressemblant plutôt à un phasme qu'à un criquet et appelé localement "Mané Magro" ou "Bicho pau", le criquet maigre ou le criquet brindille.

Stiphra robusta Mello-Leitão, 1939, le "criquet brindille", un étrange criquet sans ailes.

Assez rapidement, suite à des divergences de vue avec la collègue brésilienne avec qui je suis censé collaborer, je délaisse le "criquet brindiille" pour m'occuper de l'écologie de l'ensemble des criquets des 9 états du Nord-Est brésilien. Tâche immense dont je n'ai sans doute pas mesuré l'ampleur. Chaque mois, avec un assistant et un chauffeur, je passe deux semaines entières à effectuer des prospections dans les 9 états de cette vaste zone, du sud de l'état de Bahia à São Luis de Maranhão au nord, du Tocantins à l'ouest à Alagoas à l'est. Il y a sans doute peu de routes où je ne sois passé. Mis à part la zone de forêt atlantique à l'est, l'ensemble de ce territoire est le plus souvent très aride. Le centre, le sertão - l'arrière-pays, le bled - est caractérisé par une végétation épineuse typique, la "caatinga" (la "forêt blanche" en langue Tupi). C'est également la zone des cangaçeiros, célèbres bandits du Nord-Est brésilien ayant vécu entre 1870 et 1940 et dont les plus célèbres sont sans doute Lampião et sa compagne María Bonita.

En famille dans le Nordeste. A gauche, à Juazeiro. A droite, devant le vieux port de Salvador de Bahia

(Salvador, avec Récife et Fortaleza, étaient nos destinations familiales préférées pour les week-ends).


En 1985, les cangaçeiros ont disparu depuis longtemps mais mes collègues brésiliens, sachant la région peu sûre et compte tenu de mes multiples déplacements dans des endroits reculés, me conseillent de porter une arme. Je suis leur conseil et acquiers (sans permis) un petit révolver 7.65 avec lequel je vais effectuer mes prospections une année durant, l'arme glissée dans la poche arrière de mon jeans qui en prendra rapidement la forme. Je n'ai pas dû tirer un seul coup de feu, mais, pour mes collègues, l'important était surtout de montrer et de faire savoir que j'étais armé... comme l'était d'ailleurs mon chauffeur qui avait un gros colt glissé dans la boîte à gant de notre véhicule.

Sur le marché de Petrolina, les marchandes d'aracajés, beignets de haricots bruns frits à l'huile de palme (l'huile de dendê), fendus en deux et remplis de vatapa, mélange de mayonnaise, crevettes roses séchées, lait de coco, piment, noix de cajou, oignon et tomates.

La marchande de droite vend également des crêpes typiques du Nordeste, les beijos de tapioca.

Ce premier séjour brésilien n'aura pas été très productif sur le plan scientifique. Je rédigeais bien sûr un rapport de mission, éditais un ouvrage sur le problème des criquets au Brésil et surtout j'accumulais une quantité très importantes de données et d'échantilons de criquets... que je fus bien en peine, pour la plupart, d'identifier. A mon retour en France, et sachant que de nombreuses espèces risquaient d'être nouvelles, je déposais la plupart de mes échantillons au Muséum de Paris. Ils doivent toujours y être stockés... encore faut-il que quelqu'un s'y intéresse!

Petrolina vu depuis Juazeiro. En haut à droite, l'église principale, Nossa Senhora Rainha dos Anjos, de style néocolonial.


La découverte du "Nordeste", de son histoire, de ses paysages magnifiques, de son folklore, de sa musique (forró, frevo...) et de toutes ses traditions si attachantes aura été le point le plus positif de ce séjour. La découverte de la littérature brésilienne consacrée au Nordeste fut également un des grands moments avec Euclides da Cunha et son ouvrage "Os Sertões" relatant les péripéties de la guerre de Canudos dans l'état de Bahia, Guimarães Rosa et son roman "Grande Sertão : Veredas" un des ouvrages les plus importants de la production littéraire du Brésil contemporain, Jorge Amado bien sûr et ses nombreux romans se déroulant dans l'état de Bahia tel "Dona Flor et ses deux maris". Quant à la musique, citons simplement Luiz Gonzaga, le roi de Bahia, et sa chanson "Asa Branca" devenu l'hymne du Nordeste. Au final, un séjour beaucoup plus passionnant que ma simple production scientifique du moment ne pourrait le laisser paraître.

A gauche: bâteau effectuant des promenades sur le rio Sao Francisco, amaré sur la berge à Juazeiro. A droite, des carancas. La carranca est une sculpture en bois, de forme mi-humaine mi-animale, utilisée autrefois à la proue des bateaux naviguant sur le fleuve San Francisco et censé protéger les bateliers des mauvais esprits de la rivière. Ces sculptures sont maintenant vendues pour orner les maisons et Petrolina est un des grands pôles de fabrication.

Sur le marché de Petrolina. A gauche: un perroquet, un parmi les nombreux oiseaux vendus sur le marché. A droite: la "viande de brousse" omniprésente sur les marchés et au premier plan, un tatou, une espèce pourtant protégée.

Quelques "cordels" photographié en 2011 au MIAM, le musée international des arts modestes de Sète.

Les cordels sont des livrets de petites tailles imprimés par xylogravure sur du papier bon marché, puis mis à sécher sur des cordelettes. Ces livrets sont vendus sur les marchés, épinglés sur des rangées de ficelles. Cette forme de littérature est propre au Nordeste, où elle est très répandue.

Les thèmes sont des faits de la vie quotidienne, des épisodes historiques, des thèmes religieux, par exemple, les aventures du cangaceiro Lampião, ou la vie de Padre Cícero, le prêtre Cícero Romão Batista, homme d’église charismatique et qui exerça une grande influence sur la vie politique et sociale du Ceará à la fin du XIXe et au début du XXe siècle.

A gauche, couverture d'un "cordel" contant l'histoire de Lampião et María Bonita.


Ci-dessous, la cathédrale de Sé à Olinda, près de Récife. Olinda est l'une des plus vieilles cités brésiliennes classée au patrimoine mondial de l'Humanité par l'UNESCO,

A gauche: sur le marché de Petrolina, un marchand de "rapadura", sucre artisanal non rafiné au goût légèrement caramélisé. A droite: habitat rural typique du sertão du Pernambuco.

Les 9 états du Nordeste brésilien.

Une référence, issue de mes travaux dans le Nordeste:

Lecoq M., 1991. Gafanhotos do Brasil - Natureza do problema e bibliografia. Les criquets du Brésil - Nature du problème et bibliographie. Embrapa/NMA et Cirad/Prifas, Montpellier, France. 157p.











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