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La femme du président et le champignon vert

2007, Saly, Sénégal. Dans un hôtel club de ce "haut lieu touristique" du pays, je discute avec Madame Viviane Wade, épouse du président, en compagnie de quelques collègues de la FAO. Nous parlons des perspectives offertes par un nouveau produit biologique apparu depuis quelques années pour la lutte contre les criquets, le champignon entomopathogène Metarhizium acridum. La FAO - l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture - a organisé du 12 au 15 février un séminaire de travail pour tenter de comprendre pourquoi ce produit a du mal à passer dans la pratique et quelles seraient les mesures requises pour inciter à son utilisation, en lieu et place des traditionnels insecticides de synthèse. La réunion est placée sous l'égide de la Société internationale des Orthoptéristes (Orthopterists' Society) dont j'assume à l'époque la présidence. J'ai donc une place de choix dans ce meeting.

Metarhizium acridum est un parasite spécifique aux criquets. La maladie causée par ce champignon est appelée la muscardine verte à cause de la couleur verte de ses spores. Une souche particulièrement virulente a été isolée à partir d'insectes retrouvés morts sur le terrain au Niger. Un programme international (le programme LUBILOSA - Lutte Biologique contre les Locustes et les Sauteriaux) a développé - de 1989 à 2002 - les techniques de production de masse et les méthodes et techniques d'application de ce produit appelé commercialement Green Muscle. Les formulations développées, à base d'huile, permettent l'épandage des spores fongiques dans des conditions compatibles avec les techniques d'épandage en ultra bas volume (ou UBV, soit environ 1 litre de produit par hectare) utlisées généralement en lutte contre les criquets. Et pourtant... ce produit biologique n'est guère utilisé. S'il a de nombreux avantages - moins polluants, moins dangereux, plus spécifiques, épargnant la faune non cible et la biodiversité… - il a également divers inconvénients: lenteur d’action, forte influence des conditions météorologiques sur l’efficacité, courte durée de vie des stocks formulés.

Après la cérémonie d'ouverture, avec Madame Wade et le représentant de la FAO au Sénégal.

J'ai personnellement travaillé sur un produit similaire au Brésil et conduit de 1998 à 2003, avec des collègues de Brasilia, diverses expérimentations de terrain au Mato Grosso pour en montrer l'efficacité. Je connais donc un peu le sujet. De son côté, Madame Wade - dans le cadre de sa fondation "Agir pour l'Education et la Santé" - a depuis quelques années investi dans une unité industrielle de production de ce champignon - de ce biopesticide - qu'elle destine aux agriculteurs du Sénégal et de l'Afrique entière. Elle est donc directement intéressée au succès de ce produit. La réunion a bien sûr débouché sur diverses recommandations et un plan d'action dont il était souhaité que les autorités le mette en oeuvre aussi rapidement que possible pour assurer l’intégration des biopesticides dans la gestion opérationnelle des criquets ravageurs, en particulier dans les campagnes de lutte préventive. Près de 10 ans plus tard, on ne peut pas dire, malheureusement, que les résultats soient là. Actuellement seule l'Australie utilise régulièrement un produit biologique voisin, le Green Guard... en complément des insecticides tradionnels. Au Sénégal, l'usine de production a été fermée. La production devrait reprendre au Maroc, mais le produit ne sera sans doute pas disponible avant 2017. L'avenir de ce champignon vert est donc encore loin d'être assuré.

Pendant une pause, je souligne à Madame Wade les avantages des champignons entomopathogènes pour la lutte contre les criquets... mais également toutes les difficultés auxquelles leur mise en oeuvre se heurte.

Dans la conclusion de mon discours introductif à la réunion, je terminais en paraphrasant un grand homme politique français, et en soulignant qu'il serait très dommage que dans quelques années on puisse encore dire « Les mycopesticides sont des produits d’avenir…. et ils le resteront ».

Danseurs dans un restaurant de Dakar, lors d'un dîner entre collègues.

Pour l'anecdote, signalont qu'à l'époque l'administrateur de la fondation "Agir pour l'Education et la Santé" est un jeune ingénieur agronome français qui effectue alors un excellent travail pour développer la production de Green Muscle dans l'usine de Dakar. Trop excellent travail! L'argent afflue et Viviane Wade va vouloir une mainmise totale sur le projet au profit de son fils Karim, surnommé « Monsieur 15 % ». Sous divers prétextes, l'ingénieur français est emprisonné. Il n'est libéré qu'en 2011, après 6 mois de prison, grâce à l'intervention directe auprès du Président d'un ancien ambassadeur de France au Sénégal. Le Président n'aurait pas été au courant de l'affaire (?) et ordonnera la libération immédiate de l'ingénieur qui quittera ainsi sa prison sans lettre d'excuses, par la seule volonté du patriarche du clan des Wade.

Forêt de baobabs entre Saly et Dakar. Affiche électorale du "Vieux" (surnom du président Wade).

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