Et si l'on ne faisait rien?
1995, Bamako, Mali. Je suis là pour participer à la conférence internationale sur les nouvelles stratégies de lutte contre les criquets organisée par le GTZ* et le CILSS* du 3 au 8 avril. La conférence est pilotée par deux collègues allemands, Stephan Krall et Ralf Peveling, et par une collègue du Mali, Madame Ba Daoulé Diallo. Cette conférence a lieu cinq années après une violente invasion de criquets pèlerins qui a coûté fort cher en moyens de lutte à la communauté internationale. Le réveil a été brutal après près de 30 années de calme, de la fin de la dernière grande invasion ayant duré environ de 1940 à 1960 à l'invasion récente de 1987-89. Le problème criquet a soudainement été replacé au premier plan de l'actualité. On s'est rendu compte que rien n'était résolu comme d'aucun voulaient le laisser croire. Les énormes quantités d'insecticides utilisées pour maîtriser le fléau ont entraîné une remise en cause profonde des stratégies et méthodes de lutte. Le problème était-il si important ? Fallait-il vraiment traiter aussi massivement et avec des produits aussi toxiques ? N'était-il pas urgent de ne rien faire ? Tel était le débat. Avec cette conférence, j'allais plonger dans la mêlée.
Avec un collègue sénégalais, Tahir Diop, pendant une pause.
J'avais été rapporteur de sa thèse dirigée par Michel Verdier, et membre de son jury en 1987, à l'Université Paris VI. A partir de 1990 Tahir Diop avait pris ma succession au centre régional AGRHYMET à Niamey pour assurer les cours sur les criquets auprès des élèves techniciens et ingénieurs en protection des végétaux.
Plusieurs points étaient critiques. Les stratégies de lutte, tout d'abord, faisaient l'objet de vifs débats entre les tenants de la lutte préventive (soutenue entre autre par le CIRAD et de nombreux pays africains) et ceux préconisant d'attendre le début des recrudescences et des invasions pour tenter de lutter (regroupant divers collègues allemands, britanniques, néerlandais...). L'utilisation massive des insecticides - 23 millions d'hectares traités en à peine plus d'un an - était particulièrement critiquée. La dieldrine - organochloré rémanent sur lequel reposait en grande partie la stratégie de lutte contre le criquet pèlerin - venait d'être brutalement interdite laissant les organisations de lutte démunies. Avait-on des produits de remplacements aussi efficaces? Ne pouvait-on utiliser des produits biologiques moins nocifs pour l'homme et l'environnement ? Qu'en était-il des progrès récents des mycopesticides, ces nouveaux insecticides à base de champignons entomopathogènes ? On suggéra que les agriculteurs, au lieu de traiter, feraient mieux, par exemple, de prendre des assurances en cas d'éventuels dégâts. La notion même de criquet ravageur fut mise en cause. Certains affirmaient que le criquet ce n'est pas véritablement un problème, que l'on a fort peu de chiffres fiables concernant les dégâts, que ce sont toujours les mêmes chiffres qui sont présentés et que, au final, l'on ferait peut-être mieux de ne rien faire. Et si l'on ne faisait rien, quelles seraient les conséquences ? Après tout, les criquets sont aussi consommés par les populations locales et jouent sans nul doute en rôle bénéfique dans le fonctionnement des écosystèmes. Au final, tout était remis en cause dans un débât où s'affrontaient scientifiques de diverses tendances, représentants de l'industrie phytosanitaire et défenseurs de l'environnement.
A droite, je termine ma présentation sur la stratégie de lutte contre le criquet pèlerin. A gauche, l'ouvrage "New strategies in locust control" dans lequel ont été publiés en 1997 les comptes rendus de la conférence.
Dans ce contexte passionnel, la conférence se proposait donc d'évaluer l'état actuel des recherches concernant les stratégies de lutte contre les criquets et en particulier contre le criquet pèlerin, et de faire un bilan des méthodes alternatives de lutte. Je présentais une communication assez générale sur le thème "Stratégies de lutte antiacridienne : concepts, contraintes, réalités, perspectives" ainsi qu'un poster consacré à mes travaux sur le criquet du Mato Grosso au Brésil. Je me suis également retrouvé à piloter un groupe de travail consacré aux stratégies de gestion des criquets ravageurs et, après de nombreuses discussions, j'arrivais à faire adopter quelques recommandations que j'estimais assez intéressantes.
Bamabo, les bords du fleuve vu d'une colline voisine. A gauche, les jardins et le golf de l'hôtel de l'Amitié (SOFITEL) et le pont sur le Niger (à droite, la tour de la banque centrale des Etats de l'Afrique de l'Ouest, la BCEAO).
Mon groupe de travail considéra, qu'en l'état actuel des recherches, les techniques de pulvérisation d'insecticides demeuraient les seules utilisables dans I'immédiat, tout au rnoins en ce qui concernait la maîtrise des départs d'invasions. Tout en notant l'intérêt de quelques produits récents (inhibiteurs de croissance, phénylpyrazoles), il considéra que pour le criquet pèlerin, la stratégie de lutte préventive devait demeurer la priorité absolue, avec pour objectif la localisation et l'élimination à un stade précoce des premières formations grégaires dans leurs zones d'origine. Enfin, il recommanda la création de plans d'actions pour rationaliser les interventions et souligna la complémentarité et la nécessaire solidarité régionale entre pays affectés, insistant sur les rôles fondamentaux des forces régionales maghrébine et sahélienne, souhaitant leur renforcement, une meilleure coordination, voire même une intégration de ces deux forces. Toutes ces recommandations ne restèrent pas lettre morte. J'eu rapidement, dès 1997, l'occasion de mettre en application nombre d'entres elles dans le cadre du programme EMPRES de la FAO. Face aux interrogations, je n'étais pas resté si inactif que d'aucuns l'auraient souhaité.
Promenade en pirogue avec quelques collègues (sur la photo de droite, Keith Creesman de la FAO et Joyce Magor du NRI en Grande Bretagne).
Visite d'un village dans la région de Bamako. Comme toujours, les enfants sont nombreux à nous entourer.
A gauche, préparation du repas. A droite, vente de bois de cuisine sur le bord de la route.
Chaque jour, des centaines d’arbres sont abattus et vendus dans la capitale. La déforestation est une vraie menace pour la forêt africaine.
Rénovation de l'enduit en "banco" d'une maison traditionnelle: argile, paille et bouse de vache.
A gauche, pétrissage des ingrédients. A droite, projection de l'enduit sur le mur. Au centre, lissage de l'enduit.
Pêcheur et pirogue de pêcheurs sur le Niger.
CILSS, Comité permanent Inter-Etats de Lutte contre la Sécheresse dans le Sahel
GTZ, Agence de coopération internationale allemande pour le développement
FAO, Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture.