Sur les traces de la cavalerie Mossi
1976, Burkina-Faso. A cheval je m'apprête à faire le tour de la station agronomique de Saria où je travaille depuis un an sur un projet de recherche sur les criquets du Sahel. Saria se situe à environ 80km à l'ouest de la capitale, Ouagadougou. C'est le pays des "mossis" qui, jusqu'au 19ème siècle, dominaient la région de la Haute Volta. L'État mossi était dirigé par un souverain, le Moro Naba, qui détenait les pouvoirs politique et religieux. Ce Moro Naba existe toujours aujourd'hui et continue à exercer une autorité morale importante. Son palais, d'architecture typique soudano-sahélienne, est un lieu incontournable de Ouagadougou. Pendant des siècles, les paysans mossis étaient à la fois fermiers et soldats. Leur cavalerie légendaire défendait vigoureusement le royaume, parvenant sans cesse à gagner des batailles et à contrer les tentatives de conversion à l'Islam par les musulmans venant du nord. Cependant, même dans un lieu aux si fortes traditions équestres, le cheval n'est resté qu'anecdotique dans mes recherches et je ne l'ai utilisé qu'à de rares occasions, préférant Land Rover, Renault 12 et même mobylette 125cc.
Un paysan mossi à cheval, en tenu traditionnelle, rencontré non loin de Saria et devant se rendre au marché. A cheval devant ma villa, prêt à faire un tour en brousse.
Quelle était la raison de ma présence et de mes travaux ? La sécheresse ayant sévi dans toute la zone sahélienne d'Afrique de l'Ouest en 1973 et 1974 avait entraîné d'importantes pullulations de diverses espèces de criquets jusque là considérées comme inoffensives. On s'était alors rendu compte que les connaissances sur ces espèces étaient très maigres et qu'il conviendrait d'en savoir un peu plus pour mieux contrôler le phénomène. A la demande de divers états africains, le ministère français de la coopération avait alors entrepris de financer un projet de recherche et c'est ainsi que, tout frais recruté au GERDAT - le Groupement d'étude et de recherche pour le développement de l'agronomie tropicale qui allait devenir par la suite le CIRAD - je me suis retrouvé à travailler sur les criquets du Sahel, avec comme affectation la station agronomique de Saria.
En 4x4 quelque part vers Ouahigouya, et en mobylette devant ma villa de la station agronomique de Saria.
Arrivé à la mi-1975, j'ai rapidement installé un dispositif d'observation destiné à comprendre la dynamique des populations et l'écologie de l'ensemble des espèces de criquets présentes dans la région: 3 sites de 4 hectares prospectés intensivement 2 fois par semaine pour évaluer la densité des populations de criquets et analyser leur structure d'âge, deux pièges lumineux - l'un en milieu humide, l'autre en milieu sec - pour détecter les migrations nocturnes, une station météorologique fort bien équipée et très complète pour suivre l'évolution de divers paramètres de l'environnement: pluie, température, humidité du sol, direction du vent... De plus, j'allais régulièrement à la tour de contrôle de l'aéroport de Ouagadougou pour récupérer les cartes météorologiques synoptiques afin de disposer d'indications sur la position du front de convergence intertropicale, le FIT, susceptible de jouer un grand rôle dans les migrations saisonnières de ces insectes. J'installais également des sites d'observation au nord du Burkina Faso, à Gorum-Gorum non loin de la frontière avec le Mali, ainsi qu'au sud, dans la région de Bobo-Dioulasso, pas très loin de la Côte d'Ivoire. Ce vaste dispositif allait se révéler très productif.
A côté de ma Renault 12, près de la cascade de Banfora, au sud de Bobo Dioulasso (à gauche). A pied avec mon filet entomologique, au bord d'une mare, non loin de Ouagadougou (à droite).
Peu à peu, au fil des semaines et des mois, les données s'accumulèrent en grand nombre. Mais il fallait les analyser. A l'époque, pas d'ordinateur. J'étais déjà très heureux de disposer d'une calculette électronique, ce qui me changeait de la calculette Facit à manivelle dont je disposais quelques années plus tôt lorsque j'étais à Madagascar. Dans mon bureau, sur une table à dessin, armé d'une règle et d'un stylo Rotring à encre de chine, je reportais consciencieusement les informations sur la dynamique des populations de mes diverses espèces de criquets. Peu à peu je voyais se profiler les grandes caractéristiques de leur cycle biologique, la succession des générations, les éclosions, le développement des larves, l'apparition des individus ailés, la ponte... Je détectais rapidement d'importants phénomènes migratoires. Chez beaucoup d'espèces j'assistais à une succession ininterrompue d'arrivées et de départs de populations. Ces migrations étaient spécialement importantes en début et fin de saison humide et étaient nettement en relation avec la position du FIT et les pluies. Tout cela était nouveau et largement insoupçonné. Pour certaines espèces de criquets, une modélisation prévisionnelle devenait possible. Je commençais enfin à comprendre les causes des pullulations récentes et les résultats de mes travaux, publiés quelques années plus tard, allaient devenir presque aussi légendaires que la cavalerie mossi... enfin, tout au moins pour moi !
A gauche, avec Bathia, mon chauffeur, dans une savane à palmiers pas très loin de la Côte d'iVoire. A gauche, avec un assistant dans la région de Ouahigouya.
A Saria, dans mon salon (à gauche) et perché dans un arbre devant ma maison (à droite).
A Gorum-Gorum, en zone sahélienne, devant une chambre à coucher très ventilée (à gauche) et montant ma tente (à droite).
A l'hôtel "Indépendance" à Ouagadougou (à gauche) et chez le teinturier de Saria (à droite) (les chapeaux de paille recouvrent de grandes fosses contenant un colorant à l'indigo destiné à teinter les étoffes de coton tissées localement).