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Dans les argiles noires du bassin tchadien

C'est l'été 1974. J'ai laissé pour un moment la rédaction de ma thèse et quitté la France pour une mission FAO* de plus d'un mois en Afrique de l'Ouest. Mon premier séjour en Afrique, moi qui n'ai encore connu que Madagascar. J'effectue cette mission à la demande de J.P. Têtefort, qui fut mon directeur de projet dans la Grande Ile et qui s'occupe maintenant d'un projet FAO similaire en Afrique de l'Ouest. Là aussi le projet est financé par le PNUD*, géré par la FAO et destiné à améliorer la lutte contre les invasions du criquet migrateur africain, Locusta migratoria Linné, à l'époque attribué à la sous-espèce L. m. migratoriodes R. & F.

Groupe de femmes au marché de Garoua, Cameroun.

Arrivé à Bamako le 29 juillet venant de France, je pris une voiture jusqu'à Macina, puis une pirogue pour remonter le fleuve Niger pendant quelques kilomètres et arriver à Kara situé sur une petite île, un "toguéré", en plein milieu de cette vaste zone inondable qu'est le delta intérieur du fleuve. Kara se trouve sur la commune de Diafarabé, petite ville particulièrement connue pour sa célèbre cérémonie traditionnelle, classée au patrimoine immatériel de l'UNESCO : La traversée des bœufs. C'est à Kara que se situait la base principale de l'OICMA, l'Organisation internationale de lutte contre le criquet migrateur africain, dont Gana Diagne était à l'époque le directeur. J'avais effectué ce trajet Bamako-Kara en compagnie de Nick Jago, un collègue britannique, qui allait jouer par la suite un rôle important dans ma carrière. A Kara, je retrouvais Bakari Simaga, chercheur dans le cadre de ce projet FAO et qui, quelques années plus tôt, avait suivi avec moi la même formation dans le cadre du DEA d'entomologie à l'université de Paris Orsay.

Embarquement dans une pirogue à Macina, au Mali, et trajet sur le Niger jusqu'à Kara.


Du 1 au 5 août, au milieu de nuées de moustiques, je passais mon temps dans la bibliothèque de l'OICMA à travailler mon sujet et préparer la réunion des 6 et 7 août où j'exposais mes travaux sur le criquet migrateur à Madagascar. Fort de ma toute récente expérience sur le sujet, je détaillais un modèle de ce que devait être la dynamique de ce même criquet migrateur en Afrique, et tout particulièrement dans son aire grégarigène du bassin du lac Tchad (1). Prenant en compte les principaux facteurs environnementaux - pluie, température, vent, crue du lac Tchad... - j'arrivais à un schéma théorique de la dynamique des populations et des migrations de ce criquet dans cette région. Ce schéma était tout à fait cohérent avec les diverses observations réalisées jusqu'alors et permettait d'en effectuer une synthèse et d'en expliquer les contradictions. Les applications pratiques pour l'orientation des recherches en cours pouvaient être très intéressantes et je proposais, dans mon rapport, de grandes orientations pour un programme de recherche et tout un ensemble de recommandations. J'étais fort content du résultat bien que n'étant pas certain que tout cela ait été parfaitement compris de tous. En réalité, quelques années plus tard, en 1985, le criquet migrateur n'étant plus considéré comme un problème majeur du fait des modifications du milieu, l'OICMA disparaissait et mes propositions de recherche avec.


(1) L'aire grégarigène principale du criquet migrateur est située dans la zone d'inondation du fleuve Niger dans le centre du Mali. C'est d'elle qu'est partie la dernière grande invasion ayant affecté presque toute l'Afrique au sud du Sahara de 1928 à 1942, d'où la localisation du siège de l'OICMA à Kara, en plein coeur de cette zone. Mais le bassin du lac Tchad était aussi suspecté de pouvoir être à l'origine de pullulations importantes, voire d'invasions.

A gauche, le siège de l'OICMA à Kara, sur son toguéré, vu depuis ma pirogue, et à droite, l'un des locaux de l'organisation (photo ADRIAS).


La réunion terminée, je quittais Kara pour Bamako le 13 août, et pris l'avion pour Niamey le 15, passant par Tombouctou et Gao. J'étais accompagné, pour la suite de cette mission, par un autre collègue britannique, Georges Popov, excellent connaisseur des criquets pèlerins et migrateurs. Nous prîmes de nouveau l'avion pour Zinder où nous arrivâmes le 16 puis continuâmes tous les deux par la route vers le bassin du lac Tchad, via Kano (le 18) et Maiduguri (le 19). Nous pénétrâmes alors dans la fameuse zone des argiles noires pouvant offrir des conditions propices au criquet migrateur mais qui, en saison des pluies, rendaient les pistes fort peu praticables. Celle reliant Kano à Maiduguri était parsemée de bus et de camions enlisés.

A Zinder, Niger, cases typiques haoussas et le fort.


Nous avons exploré cette région du bassin tchadien en passant d'abord par Bama (le 21/8) puis Mubi au Nigéria (le 22). Circulation toujours difficile. A un moment, dans une zone d'argiles, nos deux 4x4 s'enlisèrent. Nous ne pûmes nous en sortir qu'en faisant appel à un bulldozer miraculeusement présent. La route nous mena ensuite vers Garoua au Cameroun, la région du lac Léré et la vallée du Mayo-Kébi (23/8); puis Maroua (26/8) et enfin arrivée sur N'Djaména le 27 août où nous dûmes franchir le Chari en prenant un bac, le pont n'existant pas encore à l'époque. Nous fûmes hébergés à la base de l'OCLALAV puis prîmes l'avion pour revenir en Europe le 2 septembre. Je rédigeai alors mon rapport de mission avant de reprendre la rédaction de ma thèse.

Bus et camions enlisés sur la piste entre Kano et Maiduguri au Nigéria (à gauche).

Enfants sur le marché de Mubi; la jeune fille en rouge porte des noix de cola (à droite).


Non loin de la date où je prenais l'avion pour rejoindre Niamey depuis Bamako, le 11 août, se produisit un crash d'un vol Air Mali près de Ouagadougou. En l'absence de détails sur mon programme, et n'ayant aucun moyen de me joindre, ce fut une grosse frayeur dans la famille. Mais, n'ayant ni téléphone, ni journaux, ni radio, je ne fus informé de l'événement qu'en rentrant en France. Ce n'était heureusement pas mon vol. Ma carrière pouvait se poursuivre.

Vendeuse de pains à Bama (à gauche) et enfants sur le marché de Mubi, Nigéria (à droite).

Sur la piste dans la région de Gwoza et ma Land Rover enlisée dans les plaines d'argiles noires de la région de Michika, Nigéria.

Le lac Léré au Tchad.

En Land Rover entre Mora et Maroua, au Cameroun (à gauche).

Traversée d'une rivière à l'arrivée à Maroua (Cameroun (à droite).

Le bac sur le Chari permettant d'accéder à N'Djamena depuis le Cameroun.

Itinéraire de mon périple en Afrique de l'Ouest en 1974.

Par la route (rouge), en avion (bleu) ou en pirogue sur le Niger (blanc).


*

ADRIAS, Association pour le développement des relations internationales de l'Aunis et de la Saintonge

FAO, Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture

OCLALAV, Organisation commune de lutte antiacridienne et de lutte antiaviaire

OICMA, Organisation internationale de lutte contre le criquet migrateur africain

PNUD, Programme des Nations Unies pour le développement.


N.B. L’abandon du site de Kara par l’OICMA en 1986 n’a été accompagné ni de la collecte ni du retrait des pesticides (dieldrine) entreposés localement qui servaient à l’épandage pour l’éradication des criquets. Ces pesticides ont été déversés, sans précaution particulière, dans une fosse située à proximité de l’école du village. A la demande de l'ADRIAS, ONG française qui se préoccupe de sauver et valoriser le site de Kara, j'ai fais réaliser par un collègue de mon unité une étude de décontamination du site vers la fin des années 2000.


http://www.adrias17.org/index.php/action-internationale/au-mali/74-kara-l-ensemble-du-projet

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