top of page

Archives ? Vous avez dit archives ?

1983. Au sein de mon unité de recherche, au CIRAD, commence à germer l'idée de tenter de modéliser la dynamique des populations du criquet pèlerin, ravageur majeur pour de très nombreux pays d'Afrique, du Proche et du Moyen Orient. En gros, plus de 50 pays, de l'Atlantique à l'Inde, sont concernés. Sachant que cet insecte est régulièrement surveillé sur toute son immense aire d'habitat, nous décidons d'essayer de récupérer l'énorme source d'information que constituent les archives patiemment accumulées dont certaines depuis les années 1930. En Afrique de l'Ouest, deux organismes effectuent cette surveillance régulière du criquet pèlerin, l'OCLALAV* et la CLCPANO*. Une partie de leurs données est transmise directement à la FAO* où un service (le DLIS*) les utilise pour reconstituer la situation sur l'ensemble de l'aire d'habitat de l'insecte, évaluer le risque de pullulation et d'invasion, et effectuer des prévisions pour les mois à venir. Mais une grande partie des informations, et en particulier les originaux des cahiers et des fiches de terrain des prospecteurs, demeure sur place en Afrique, soit au siège des organismes, soit au niveau des bases de terrain.

A la base OCLALAV de Gao, discussion sur des cartes avec les prospecteurs.

Nous décidons donc de contacter OCLALAV et CLCPANO et de leur rendre visite pour proposer une collaboration sur l'exploitation de leurs données d'archive. J'effectue cette mission avec Georges Popov, du NRI qui était sans doute l'un des meilleurs spécialistes de cette espèce et avait en particulier travaillé dans le cadre d'un projet PNUD/ FAO sur le criquet pèlerin, dirigé par Hans Brédo, dans les années 60. C'est avec Georges Popov que j'avais également effectué ma première mission en Afrique en 1974 dans le bassin tchadien. Nous commençons notre périple par l'OCLALAV et les pays du Sahel.

Au siège de l'OCLALAV, à Dakar. Sur la photo de gauche, Georges Popov et le 2ème en partant de la gauche et Maurice Balmat, assistant technique français en poste à l'OCLALAV, le premier à droite.

A Dakar, au siège de l'OCLALAV, en discussion avec des prospecteurs.

A droite, baobabs dans les environs de Dakar.

A Dakar, au Sénégal, où se trouve le siège de l'OCLALAV, les données sont là et la bonne volonté évidente. Mais les archives sont dans un état lamentable et ne sont pas stockées à l'abri de la poussière et des intempéries. Récupérer ces archives, ces milliers de fiches, les retranscrire, les informatiser va prendre des mois. Rien n'est possible dans le cadre de cette courte mission. Nous verrons plus tard, nous contentant de discuter de la faisabilité et des coûts d'une telle entreprise. Après quelques jours, nous prenons un vol sur Bamako, puis gagnons Gao au nord. Là, à la base OCLALAV, les archives ne sont pas en meilleur état. Nous menons avec les prospecteurs quelques discussions intéressantes... mais finalement d'intérêt limité pour notre objectif. J'ai l'impression que Georges Popov ne leur fait dire que ce que nous (et surtout lui) savons déjà. Tout cela me permet cependant de me familiariser avec le travail de cette organisation et avec une zone intéressante, et nous effectuons une petite visite dans les environs de Gao, dans la basse vallée du Tilemsi, pour observer quelques habitats de criquets pèlerins.

Au nord de Gao, à gauche, sur une dune surplombant la vallée fossile du Tilemsi provenant de l’Adrar des Iforas et se jetant dans le Niger à Gao. A droite, exploration d'un milieu très favorable au criquet pèlerin: sol sableux, touffes de graminées et des arbustes, Leptadenia pyrotechnica, de la famille des Apocynaceae.

A gauche, au nord de Gao, dans la vallée du Tilemsi, nous venons de descendre d'une dune avec notre Land Rover (on aperçoit encore les traces de roues dans le sable).

A droite, à Gao, jeunes filles devant leur maison.

Estimant avoir passé un temps suffisant à Gao, nous continuons sur Niamey où nous passons quelques jours. J'en profite pour négocier une magnifique porte dogon à un marchand local qui tenait son commerce sur le trottoir tout près de notre hôtel. Les discussions durèrent plusieurs jours et je finis peu à peu par faire baisser le prix et par obtenir cette belle pièce à un tarif raisonnable. Nous prenons ensuite la route pour Zinder, à 900 km, de Niamey, pour rejoindre une autre base terrain de l'OCLALAV. Là, même constat qu'à Gao. Peu de choses intéressantes, retour sur Niamey et vol sur Alger.

Sur le tombeau des Askias, à Gao, construit en 1495 par Askia Mohamed. Les pièces de bois servent au renouvellement régulier de la couche d’enduit de terre (le banco) érodée à chaque hivernage par les pluies rares mais violentes.

En fait, je garde surtout de cette tournée au Sahel le souvenir de notre passage au spectaculaire tombeau des Askias à Gao, souvenir de l'empire des Songhaï dont Gao était la capitale. Le site a été inscrit en 2004 sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO. La forme pyramidale du tombeau, son style soudano-sahélien typique, sa fonction de minaret au centre de la mosquée, ainsi que la longueur et la forme des pièces de bois composant l’échafaudage permanent, apportent à ce tombeau des Askias des caractéristiques architecturales uniques qui en font un haut lieu de la ville. Ce fut une chance que de pouvoir accéder au sommet de cet édifice en terre par l'escalier latéral en spirale qui en fait le tour, et d'avoir ainsi un magnifique panorama sur la ville de Gao.

A gauche, arrêt au pied d'un acacia non loin de Gao. A droite, chargement de ma Land Rover avant le départ de Niamey pour Zinder.

Le bouquet du voyage nous fut réservé par la CLCPANO à Alger. Son secrétaire exécutif, que nous connaissions de longue date, nous réserva le meilleur accueil. Nous pûmes discuter de la situation du criquet pèlerin, du travail des prospecteurs, etc. Discussions fort courtoises mais ne débouchant sur rien. Le sujet des archives fut soigneusement éludé par notre interlocuteur qui nous proposa de mettre une voiture à notre disposition pour visiter Alger, ce que nous fîmes. Visite d'autant plus intéressante que c'était pour moi mon premier passage en Algérie... et l'on nous raccompagna à l'avion avec de grands sourires, congratulations et salamalecs. A l'évidence, la CLCPANO ne voulait pas partager ses informations -"s'asseyant dessus" selon l'expression de G. Popov - se les réservant sans doute pour ses propres analyses... ce qu'elle ne fit d'ailleurs jamais. C'est sans doute ce que l'on appelle trivialement "se faire balader", expression que nous pouvions également prendre au sens propre.

A gauche, au musée de Niamey, les restes de l'arbre mythique du Ténéré, désormais protégé par un abri. Cet arbre était un acacia solitaire, isolé au milieu du désert du Ténéré, à plus de 230km au nord-est d'Agadez. Seul arbre à avoir jamais été représenté sur une carte au 1/4 000 000e, il faisait office de repère sur la route des caravanes. Il fut renversé par un camion en 1973.

A droite, dans le centre de Niamey, près de mon hôtel, une vache de race "kouri" dont les cornes volumineuses sont creuses et lui servent de flotteur pour la traversée des rivières.

Je finis par avoir accès aux archives en question, bien des années plus tard, en encadrant les diplômes de divers étudiants africains, au Mali, en Mauritanie, et en particulier en dirigeant le master puis la thèse de doctorat d'un ingénieur algérien de l'INPV, Mohammed Lazar, qui soutiendra finalement en 2015, soit plus de 30 ans après mon premier passage à Alger. Archives ? Vous avez dit archives ? Il aura fallu bien des années pour rendre moins sourds nos partenaires et arriver à les faire collaborer avec nous... mais aussi entre eux. Ce n'est qu'en 2001, après divers combats auxquels je participais avec la FAO, que la CLCPRO remplacera l'OCLALAV et la CLCPANO, créant un espace de dialogue unique entre Maghreb et Sahel pour une lutte préventive coordonnée contre le criquet pèlerin.

Enfants jouant ou travaillant dans la banlieue de Niamey au Niger. On admirera la voiture faite de cartons, de morceaux de calebasses et de bambous.

Le marché aux potiers de Niamey que j'ai souvent fréquenté pour acheter quelques pièces.

* Explication de quelques sigles:

CLCPANO, Commission FAO de lutte contre le criquet pèlerin en Afrique du Nord-Ouest, Alger

CLCPRO, Commission FAO de lutte contre le criquet pèlerin en région occidentale, Alger

DLIS, Desert locust information service, FAO, Rome

FAO, Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, Rome

INPV, Institut national de la protection des végétaux, Alger

NRI, National Resources Institute, Chatam, UK

OCLALAV, Organisation commune de lutte antiacridienne et de lutte antiaviaire, Dakar

PNUD, Programme des Nations Unies pour le développement, New York, USA



Featured Posts
Recent Posts
Search By Tags
bottom of page