Danse avec le criquet
2003, Brasilia. Je viens de donner une conférence - en portugais, s'il vous plait - dans les locaux de l'Embrapa, l'organisme brésilien de recherche agronomique qui dispose de nombreux centres dans tout le pays et dont le siège est dans la capitale. J'avais déjà donné une conférence quelques jours plus tôt sur le problème des criquets ravageurs dans le monde. La présente conférence était consacrée aux résultats des expérimentations que je conduisais depuis plusieurs années avec des collègues de Brasilia pour démontrer, sur le terrain, l'efficacité d'un insecticide biologique qu'ils avaient mis au point.
Les travaux avaient été conduits de 1998 à 2002 au Mato Grosso, sur un criquet que je connaissais fort bien pour l'avoir étudié pendant plusieurs années de 1992 à 1997. Mon expertise sur le sujet avait été déterminante. Les résultats avaient été très concluants et la collaboration avec l'équipe brésilienne extrêmement amicale et fructueuse. Ma conférence faisait donc le point sur le sujet, traçant des perspectives pour l'avenir, et s'intitulait "Développement d'un mycoinsecticide pour le contrôle des criquets ravageurs au Brésil."
Mes collègues brésiliens avaient décoré la salle de conférence avec un magnifique et immense criquet en plastique, vert aux yeux orange, qui avait dû servir lors du précédent carnaval dans la capitale. A la fin de mon exposé et après les questions et discussions d'usage, nous fîmes une séance de photos avec le criquet en question, et je fus amené à danser une sorte de samba avec ce magnifique insecte Orthoptère... mais mes collègues ne furent pas en reste et la conférence se termina dans une ambiance très brésilienne.
Ma danse avec le criquet fétiche du projet.
L'équipe du projet et son criquet fétiche. De gauche à droite: Marcos, João-Batista, Francisco et moi. Seul manque à l'appel (prenant la photo), Bonifacio.
Au cours de ce séjour, je consacrais un peu de temps à la visite de la capitale sur les traces d'Oscar Niemeyer: palais de Buriti siège du gouvernement fédéral, mémorial "JK" dédié au président Juscelino Kubitschek, cathédrale Nossa Senhora Aparecida, esplanade des ministères, congrès, place des Trois Pouvoirs, palais présidentiel de la Alvorada... les classiques. Mais le lieu sans doute le plus extraordinaire qu'il me fut donné de voir est sans hésitation la "Vallée de l'aube", la "Vale do Amanhecer", à quelques kilomètres de Brasilia, sans doute le lieu mystique le plus fameux de la capitale brésilienne qui n'en manque pourtant pas. Cette petite ville est entièrement occupée par les membres de la communauté mystique de la Vale do Amanhecer.
La cathédrale Nossa Senhora Aparecida de Brasilia.
Cette communauté, cette nouvelle religion, cette secte, a été créée en 1969 par Neiva Zelaya Chavez (1925-1985), connue sous le nom de Tia Neiva, veuve d'un chauffeur routier, qui prétendait être la réincarnation de Cléopâtre et de Néfertiti. Leur culte est un mélange hétéroclite de chamanisme avec le christianisme, le spiritisme, l'Umbanda, les cultes indigènes africains, le New Age, le millénarisme, la communication avec les extraterrestres et autres idées toutes aussi farfelues, mobilisant à la fois les Mayas, Sparte, les Tsiganes et les moais de l'île de Pâques. Dans cette religion, l'Être suprême est l'indien "Seta Branca" - la Flèche Blanche - qui dirige un régiment "d'esprits de lumière". La Terre aurait été colonisée il y a 32000 ans par des êtres immortels, en provenance de la planète "Capela", et qui se sont mêlés aux Terriens et ont été à l'origine de nos diverses civilisations. Ce mouvement religieux est sans aucun doute l'un des cultes les plus fantasmagoriques connus.
Quoi qu'il en soit, arrivant sur place avec un collègue brésilien, nous fûmes bien reçus et guidés par un "prêtre" qui nous fit découvrir la ville. Partout dans les rues, des groupes de prière, des adeptes en costumes tous plus chamarrés les uns que les autres, brandissant des lances vers le ciel pour chasser les démons. Je pu visiter les divers lieux de culte, une sorte de cathédrale aux multiples divinités, assister à un début de cérémonie en plein air, la "ronde des initiés" autour d’un grand étang aux vertus magiques où les bancs disposés sur les rives étaient censés canaliser les énergies cosmiques positives et en faire bénéficier les fidèles. Tout cela constituait un spectacle des plus surprenants et ma danse avec le criquet n'aurait sans doute pas dénoté dans un pareil contexte. Plus on est de fous...
Vale do Amanhecer: l'Être suprême "Seta Branca" photographié dans un temple et rassemblement des fidèles avant une cérémonie sur les bords du grand étang.
Cérémonie religieuse sur le site de la Vale do Amanhecer: costumes chamarrés, temples, espaces en plein air dédiés à la "concentration des énergies", pyramides cosmiques aux mystérieux pouvoirs...
La pyramide où, après avoir absorbé quelques cristaux de sel (rituel indispensable), je passais quelques minutes - sur recommandations de mon guide - à méditer avant de poursuivre la visite des lieux.