Le criquet... ça se mange!
1986, Niger. Je "déguste" quelques bons criquets que je viens d'acheter sur le marché de Niamey. Juste séchés au soleil, bien croustillants... avec un bon goût de paille. En réalité, je n'ai dû en goûter qu'un ou deux car il aurait sans doute fallu les accommoder pour les rendre plus digestes. Depuis 1983, je donnais tous les ans un mois de cours sur les criquets du Sahel à des promotions d'étudiants venant de tous les pays d'Afrique de l'Ouest. Cette formation se déroulait dans les locaux du centre régional AGRHYMET à Niamey, une institution spécialisée du Comité permanent inter-Etats de lutte contre la sécheresse au Sahel (le CILSS). J'ai continué ces cours jusqu'en 1989 puis ai cédé la place à un collègue sénégalais.
Mon vendeur de criquets sur le marché de Niamey.
Cette formation intensive me prenait 8 heures par jour. Huit heures pendant lesquelles je devais maintenir l'intérêt et l'attention d'une vingtaine d'étudiants. Je descendais à Niamey dans un petit hôtel assez familial, situé en plein coeur de la ville, le Terminus, constitué d'une série de bungalows et qui avait l'avantage d'avoir des jardins très arborés ou régnaient calme et fraîcheur. Cet hôtel avait également un excellent restaurant, un grill/pizzeria ainsi qu'une piscine ce qui était loin d'être négligeable vu la température locale. Je ne compte pas les soirées passées là, enduit de répulsif pour les moustiques, à corriger les copies de mes étudiants ou à préparer les cours pour le lendemain. Le patron, Monsieur Robert, trônait régulièrement en famille dans la salle de restaurant de l'hôtel. Il me servait de banque et avait l'amabilité, si besoin, de me changer mes francs contre des CFA locaux. Dans la cours, non loin de l'entrée de l'hôtel, un marchand avait installé son échoppe et proposait de "beaux objets africains" pour les touristes de passage, des "niama-niama" comme on appelle couramment en Afrique ces objets souvent vendus sur le trottoir. Pour varier, je fréquentais régulièrement en soirée deux restaurants vietnamiens situés non loin de là, dont le Dragon d'or, à l'atmosphère paisible sous les arbres de sa terrasse éclairés de lanternes multicolores.
Mon "repas" de criquets : de nombreux Ornithacris turbida
et quelques Kraussaria angulifera. Les amateurs apprécieront.
Mes 4 ouvrages de la collection "Acridologie opérationnelle"
édités par le CIRAD : Les criquets du Sahel (1988), La surveillance
des sauteriaux du Sahel (1988), Vade-mecum des criquets du Sahel
(1989) et Le criquet pèlerin au Sahel (1990).
Dans le cours de toutes ces sessions de formation me vint l'idée de créer une collection de petits ouvrages pratiques sur les criquets sahéliens à usage des techniciens de la protection des végétaux. C'est ainsi que vu le jour la collection "Acridologie opérationnelle" éditée par le CIRAD pour le compte du Centre régional AGRHYMET avec des financements de la coopération néerlandaise. Huit volumes furent publiés entre 1988 et 1994. Je rédigeais 4 de ces ouvrages, seul ou en collaboration avec divers collègues, et fus en charge de tout le suivi d'édition pour l'ensemble de la collection: élaboration de la charte graphique et de la maquette de couverture en collaboration avec un graphiste, demande de devis, suivi de fabrication chez l'imprimeur, fourniture des textes et illustrations, travail avec le typographe pour gérer la mise en page, correction des épreuves, bon à tirer... A chaque tirage, j'étais chez l'imprimeur quelle que soit l'heure, travaillant avec le conducteur de presse sur l'imprimante offset pour vérifier, sur les premières feuilles, que les couleurs étaient bien conformes à ce que je souhaitais même si l'opérateur avait à sa disposition le BAT, le bon à tirer, que j'avais au préalable signé. Au final, ce fut une belle opération. Ces 8 ouvrages furent tirés, chacun, en plusieurs milliers d'exemplaires et largement distribués dans tous les pays sahéliens, principalement dans les services de l'agriculture et de la protection des végétaux. Leur contenu devait sans doute être moins indigeste que mes criquets achetés sur le marché de Niamey.
Ma promotion d'étudiants de juin 1986 équipés pour partir chasser le criquet dans les environs de Niamey: filet entomologique et flacon à cyanure.
L'hôtel Terminus, à Niamey, où je fis de très nombreux et longs séjours de 1983 à 1989.
Mon marchand d'artisanat africain dans la cour de l'hôtel Terminus, à Niamey (lors d'un autre séjour en 2003). J'allais très fréquemment visiter son échoppe pour discuter et découvrir les nouveautés.
Joueur de flute et village, dans environs de Niamey,
avec les très typiques palmiers doums (Hyphaene thebaica).
Greniers à céréales en paille.
Punaises du genre Dysdercus sur un épis de mil.
Comme les criquets sahéliens que j'étudiais à l'époque depuis 1975, ces punaises effectuent des migrations en relation avec les pluies et l'avancée et le recul saisonniers du front de mousson. Les migrations de la punaise du cotonnier en Afrique - Dysdercus voelkeri Schmidt - ont été étudiées par un collègue de l'ORSTOM*, Dominique Duviard, un peu avant mes travaux sur les criquets. Ses recherches avaient été pour moi une source d'inspiration. Elles montraient, en effet, que la dynamique des populations de ces insectes ne pouvait s'expliquer en se limitant à une échelle locale. Il lui fallait faire intervenir des échanges à une échelle géographique beaucoup plus vaste et prendre en compte des migrations saisonnières sur des centaines de kilomètres, migrations constitutives d'un processus adaptatif remarquablement évolué. Mes travaux montrèrent qu'il en était de même pour les criquets sahéliens.
*ORSTOM, Office de la recherche scientifique et technique outre-mer (actuellement IRD).
Ma promotion d'étudiants de novembre 1987. Ils ont pour la plupart revêtu le teeshirt "criquet" que j'avais, comme à l'habitude, distribué à mon arrivée avec divers matériels pédagogiques.
Dans les environs de Niamey, mes étudiants sur le terrain remplissent des fiches d'observation: description du milieu, espèces de criquets observées et densité, etc.
Un week-end: en promenade sur le Niger non loin de Niamey.
Champs de mil et coucher de soleil sur le fleuve Niger.
Pour ce qui est des couchers de soleil sur le Niger, la terrasse du Grand Hôtel de Niamey, dominant les rives du fleuve et le pont Kennedy, était célèbre. Avec des collègues, j'allais souvent y prendre des brochettes et une bière... une "Bière Niger" locale bien sûr, plus familièrement appelée "Braniger". Par la suite, à partir de 1994 et de la dévaluation du franc CFA, cette bière fut disponible en deux formats: le grande de 66cl et le petit de 50cl s'appelant la "Conjoncture"... à cause de la conjoncture économique difficile.
Greniers à céréales dans la région de Niamey.
Artisanat africain photographié à Niamey: en haut, toile de Korhogo (constituées de petites bandelettes de coton cousues les unes aux autres et originaires du nord de la Côte d'Ivoire, à gauche) et décors de poterie (à droite); en bas, statuette ashanti (originaire du Ghana, à gauche) et colliers ornés de croix touarègues en argent typiques du Niger (à droite). De temps à autre, j'achetais quelques souvenirs qui finirent - pour la plupart - dans des caisses à mon retour en France.