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Au Brésil baroque

1992, au Brésil de nouveau. C'est ma troisième expatriation en famille après Saria au Burkina Faso (1975-77), et Petrolina dans le Nordeste brésilien (1985-86). Cette fois, nous nous installons à Campinas, grande ville à une centaine de kilomètres de São Paulo. Après ma mission exploratoire de l'année précédente, le projet de recherche sur le criquet du Mato Grosso s'est concrétisé grâce à des financements européens. Je suis là pour une année. Je poursuivrai par la suite mes travaux sur ce sujet sous la forme de nombreuses missions de courte durée de 1 à 2 mois, jusqu'en 1996.

Quelques heures avant de prendre l'avion, nous en profitons pour faire visiter Paris aux enfants, ici à la pyramide du Louvre.

Côté travail, je suis installé dans les locaux du NMA - un centre de télédétection satellitaire de l'Embrapa - à la périphérie de Campinas. Avec un collègue entomologiste brésilien, Ivo, je vais mettre en place les recherches qui nous permettrons de comprendre l'origine des pullulations de criquets et de proposer une stratégie de prévention. Côté famille, nous sommes installés à Cambuí, en plein coeur du quartier chic de Campinas. Cambuí possède une infrastructure très complète, de larges avenues boisées, des clubs sportifs privés renommés (Regatas, Tênis Clube...), de nombreux bars et restaurants huppés... Nous sommes logés au 211 avenue Colonel Silva Telles, Edificio Leonardo Da Vinci, un immeuble moderne, dans un spacieux appartement de 280m2 couvrant tout le 4ème étage. Avec bien sûr, un petit appartement pour la bonne, comme la quasi totalité des appartements du quartier.

Notre immeuble avenue Cel Silva Telles: à gauche, l'immeuble vu de la rue, à droite la vue depuis notre appartement, et au centre, Elphège avec nos deux employées de maison successives, deux soeurs - Corina et Auria - et leurs enfants.

Une avenue à Cambuí : arbres, verdure et mélange d'immeubles modernes et de vieilles maisons baroques transformées en boutiques de luxe. A droite, la façade du Squash Cleto, club très fréquenté par Lydéric.


Les deux cartes de visite ci-dessous sont celles de nos deux boutiques favorites: la boulangerie Saint Germain où nous trouvions des "petits pains français", et l'Emporion, sorte d'épicerie de luxe située tout près de notre immeuble.


L'emploi du temps familial était bien rempli. Christiane faisait cours à Elphège qui était alors en 6ème. Lydéric travaillait ses cours du CNED (le Conservatoire d'enseignement à distance) toute la matinée et passait ses après-midi à faire du piano et du squash au club Cleto voisin. Et notre bonne préparait les repas et astiquait l'appartement du matin au soir bien plus qu'il ne fallait. De temps à autre nous allions dans les lieux de détente de la ville: le "Bosque dos Jequitibás", un parc et jardin zoologique de 10 hectares en plein centre ville; le parc "Lagoa do Taquaral" avec son petit train électrique, son lac et sa réplique grandeur nature de la caravelle Anunciação de Pedro Álvares Cabral. Il y avait aussi le "Parque Ecológico", un peu en dehors de la ville, avec son splendide Casarão, la maison de maître de cette ancienne propriété faisant partie des "fazendas do café", prestigieuses plantations du 19ème siècle dont beaucoup sont devenues musées ou hôtels de charme. Et puis, j'avais acheté une petite Chevette** noire, une Chevrolet d'occasion, à la fois pour me rendre au travail, mais aussi bien sûr pour pouvoir sortir de cette immense ville qu'était Campinas et visiter la région. Et les visites furent nombreuses: Monte Verde situé dans les montagnes toutes proches du Minas Gerais et considéré avec ses chalets et son climat frais, comme la Suisse de l'état de São Paulo; le parc national d'Itatiaia, non loin de Rio, dans la Serra de Mantiqueira, avec son pic des Aiguilles Noires culminant à 2791 mètres; la côte entre São Paulo et Rio avec la station balnéaire de Ubatuba dominée par la Serra do Mar et où la Mata Atlântica s'avance jusqu'à l'Océan; la très touristique petite ville de Parati, à l'architecture coloniale, au creux de la magnifique baie d’Ilha Grande; Rio de Janeiro bien sûr, mais aussi les fameuses cités historiques du Minas Gerais avec leurs nombreuses églises baroques: Ouro Preto, Mariana, Tiradentes, Congonhas... et plus loin, à la frontière avec l'Argentine et le Paraguay, les célèbres chutes de Foz de Iguaçu. Au cours de cette année, je fis deux missions au Mato Grosso pour étudier mon criquet, en octobre 1992 puis en juin 1993. Christiane et les enfants repartirent en France pour la rentrée des classes 1993. Je fis une 3ème mission de 3 semaines en octobre, avant de rejoindre moi-même Montpellier. L'année avait été bien remplie et très fructueuse.


** La Chevette correspondait à l'Opel Kadett C vendue en Europe, mais GM n'avait pas voulu la commercialiser sous ce nom au Brésil à l'époque de la dictature (dont nous avions vécu la fin lors de notre précédent séjour en 1985 avec l'élection du président Tancredo Neves), craignant que ce terme ne provoque une association malheureuse avec des "cadets" militaires.


La photo ci-contre, publiée le 28 avril 1993, a été prise par des journalistes de la Folha de São Paulo, l'un des deux grands journaux d'information au Brésil, venus faire un reportage à Campinas sur mon projet. Je suis dans les locaux du NMA, manipulant un criquet devant une cage d'élevage. L'article est intitulé "Campinas tente d'arrêter les criquets" et mentionne que des chercheurs du centre Embrapa de télédétection satellitaire (le NMA) ont signé un contrat de 300000 $ avec la Commission européenne pour contrôler les essaims de criquets qui menacent le Mato Grosso. En réalité, il ne s'agit pas de contrôler mais surtout de mieux comprendre le phénomène. Ce que je vais m'efforcer de faire au cours des mois et des années suivantes, grâce à une collaboration fructueuse avec mon collègue entomologiste brésilien qui m'accompagnera pendant toutes mes missions au Mato Grosso.


Par contre, mes collègues non entomologistes du NMA - se préoccupant assez peu de l'insecte - étaient partis sur un a priori considérant que les nouveaux agriculteurs s'étant installés récemment au Mato Grosso, à partir du début des années 1980, pour produire canne-à-sucre, riz et soja sur des milliers d'hectares, avaient rompu un équilibre naturel, favorisé les pullulations de criquets et étaient donc directement responsables de leur malheur. Ils entendaient ainsi utiliser l'imagerie satellitaire pour montrer l'étendue de ces modifications environnementales induites par la multiplication des cultures. L'étendue du désastre, en quelque sorte ! Une cartographie de ces zones avait d'ailleurs déjà été engagée... alors même que rien n'était connu sur l'insecte! A l'époque, je n'avais pas encore démontré, bien sûr, que le Mato Grosso avait été, de tout temps, une zone de pullulations de criquets, mais comme la région était quasi inhabitée, personne ne s'en souciait... sauf les indiens qui étaient très heureux de les consommer.

Dans la région de Campinas, à Monte Verde (à gauche) et dans une fazenda de café (à droite).


Ce n'est que peu à peu que je pu comprendre la biologie de ce fameux criquet, son écologie et quels étaient ses habitats préférés, en particulier pour la ponte. C'est naturellement dans ces zones de ponte que cet insecte se reproduisait et pullulait. Or les nouveaux agriculteurs avaient, bien sûr, implanté leurs cultures sur les sols les plus riches. Les parties les plus sableuses, les moins fertiles, avaient été laissées en végétation naturelle et réserve de faune (également, d'ailleurs par obligation légale). Or c'est précisément sur ces sols sableux que le criquet se multipliait... et allait ensuite envahir les cultures situées au voisinage immédiat. On avait une simple juxtaposition des zones cultivées et des zones de reproduction du criquet. L'agriculture n'avait en rien favorisé l'insecte. Elle s'était installé sur son territoire en respectant, de plus, ses habitats de reproduction. Le problème était alors inévitable et se produisit dès les premières récoltes.

A Foz de Iguaçu, visite des fameuses chutes que j'avais déjà été voir l'année précédente. Les parapluies ne sont là que pour protéger des embruns.


Ce qu'il convenait de cartographier, ce n'était donc pas les cultures, c'était les zones sableuses, celles d'où provenait le problème et où l'on pouvait envisager une stratégie de surveillance et de contrôle préventif pour protéger les récoltes. Il me fallu faire reprendre ce travail de cartographie - réalisée au 1/250.000ème sur une vaste zone de 600 x 300 km - pour tenir compte de ce qui était véritablement important... au delà des a priori "écologistes" initiaux. Les agriculteurs avaient déjà bien des problèmes, point n'était besoin d'en rajouter en les accusant d'un déséquilibre écologique, sans doute réel, mais qui n'avait rien à voir avec les pullulations de criquets.

En famille, à Rio de Janeiro, au sommet du pain de sucre (à gauche, avec le Corcovado à l'horizon) et au Corcovado (à droite). Nous étions partis de Campinas en voiture - notre petite Chevrolet "Chevette" noire - et avions longé la côte, passant par Caraguatatuba, Ubatuba, Angra dos Reis, Parati... et finalement Rio où j'avais réservé dans le seul petit hôtel situé sur Copacabana.

Parati, sa baie, ses petites îles et son église à l'architecture baroque.


En 1992, j'en étais encore aux balbutiements. A chaque mission au Mato Grosso, je rapportais du terrain des échantillons vivants de ce criquet. En particulier, en octobre 1992, je rapportais de jeunes larves des stades 1 et 2 que j'élevais sur une terrasse de notre appartement. Les locaux du NMA, centre de télédétection spatiale, n'étaient pas véritablement conçus pour des élevages d'insectes. Tous les jours, je descendais dans la rue pour ramasser quelques herbes afin de nourrir mes criquets en catimini. C'était assez sommaire comme protocole, mais cela me permis de conduire mon élevage et de vérifier que le nombre de stades larvaires n'était pas du tout de 5 comme ce qui était annoncé au départ par des entomologistes brésiliens, mais de 8, voire 9 stades pour certains individus. En réalité, à mesure de l'avancement de mes recherches, j'allais de surprise en surprise: nombre de stades larvaires beaucoup plus important que prévu, changement de coloration du brun au vert en période de reproduction ce dont je n'avais jamais entendu parler auparavant, essaims de 60 km qui n'avaient en réalité pas plus de 1 à 2 km, capacité de migration 10 fois moins importante que ce qui était annoncé, migrations dans un sens nord-sud et non pas est-ouest, voire - encore plus surprenant - la consommation de sable par certains individus! Tout était à reprendre, tout était à découvrir.

Tiradentes, charmante petite ville coloniale du Minas Gerais, conservatoire de l’architecture coloniale brésilienne de l’âge d’or, ses ribambelles de maisons blanches et colorées et ses églises et chapelles baroques. Nous y avons logé au Solar da Ponte, élégant hôtel de style colonial, et assisté à un somptueux concert d'orgue et de trompette dans une église locale.


Moi qui étais habitué à mes "classiques" criquets africains très étudiés et sans grande surprise, ici l'on nageait dans le "baroque" avec la surcharge décorative de mes criquets aux multiples couleurs bleu, rouge, jaune, orange, vert, noir; avec les effets dramatiques et l'excitation de mes découvertes successives; avec l’exagération des prises de position des uns et des autres; avec la tension provoquée par les conflits entre agriculteurs, indiens et écologistes; avec l’exubérance et la grandeur des vastes espaces du cerrado du Mato Grosso; avec l'exacerbation des inégalités et des conflits sociaux; avec les contrastes multiples entre cette agriculture moderne et les pratiques ancestrales des indiens, entre la douceur des plages et la violence des villes (où je fus témoin de plusieurs agressions à main armée), entre la gentillesse de nos deux bonnes issues des favelas et la morgue des propriétaires de notre très chic quartier de Cambuí. Oui, baroque, tout cela était au final très baroque.

Congonhas do Campo au Minas Gerais: l'église Bom Jesus de Matosinhos, le chemin de croix et les statues de l'Aleijadinho, Manuel da Costa Ataide, l'un des plus grands parmi les sculpteurs baroques brésiliens.

Classée au patrimoine mondial de l'UNESCO: Ouro Preto, vieille cité coloniale du cycle de l'or, aux rues pavées, aux pentes raides, et aux multiples églises baroques.

Sur la côte entre Rio et São Paulo, le port d'Angra dos Reis et la station balnéaire de Ubatuba.

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