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Avec les félicitations du jury

1975, le 8 mars, université de Paris-Sud (à l'époque Paris XI Orsay). "Bon, alors, Monsieur Lecoq, le jury, après en avoir délibéré, a décidé de vous attribuer le grade de docteur ès sciences avec la mention la plus haute dont il puisse disposer, la mention très honorable, et il m'a chargé de vous présenter toutes ses félicitations pour le travail que vous avez accompli." Telle fut la déclaration de Joseph Bergerard, président de mon jury de thèse, après ma soutenance et les débats ayant suivi. Déclaration classique, certes, mais cela faisait quand même bien plaisir après toutes ces années de travail, d'abord sur le terrain à Madagascar de 1971 à 1973, dans des conditions un peu sommaires, puis en France en 1974, au chômage, pour l'analyse de mes résultats et la rédaction du manuscrit

Jean-René Le Berre Joseph Bergerard Maxime Lamotte Norbert Gerbier Jean-Marie Legay

Mon jury de thèse de doctorat.



La soutenance avait commencé par une autre phrase, classique, du président : "Monsieur Lecoq, vous avez la parole pour nous exposer les résultats de vos travaux concernant les déplacements par vol du criquet migrateur malgache en phase solitaire, leur importance sur la dynamique des populations et la grégarisation." Et j'avais alors commencé mon exposé, rôdé au cours des journées précédentes avec l'appui d'un technicien du laboratoire, par une introduction non moins classique : "Monsieur le Président, je vous remercie. Mesdames, Messieurs, à intervalles plus ou moins réguliers, les invasions du criquet migrateur ravagent Madagascar, ruinent l'économie du pays et mettent en danger tous les efforts entrepris dans le domaine du développement agricole." Etc., etc. jusqu'à ma conclusion: "Il semble donc probable que sans les déplacements des populations solitaires la grégarisation du criquet migrateur à Madagascar serait beaucoup plus rare." Commença alors une longue discussion avec les membres du jury, commencée en ces termes mémorables par Joseph Bergerard : "Je vous remercie et je vais passer la parole à Monsieur le Professeur Lamotte qui a bien voulu établir le rapport".


Grâce à mon directeur de thèse, Jean René Le Berre, professeur d'entomologie à l'université Paris Sud, j'avais pu bénéficier d'un jury de rêve. Que des scientifiques de renom, à commencer par Maxime Lamotte (1920-2007), le rapporteur de ma thèse, biologiste, généticien et pionnier de l'écologie quantitative, fondateur de la célèbre station d'écologie de Lamto en Côte d'Ivoire, professeur de zoologie à l'université Pierre et Marie Curie et directeur du laboratoire de zoologie de l’École normale supérieure. Mais aussi, Jean Marie Legay, professeur à l’université Claude Bernard de Lyon et directeur du laboratoire de biométrie; Norbert Gerbier, directeur du service d’agro-météorologie à la Météorologie nationale et qui fut quelques années plus tard, de 1979 à 1985, président de la commission de météorologie agricole de l'Organisation mondiale de la météorologie (OMM); et enfin mon président de jury, Joseph Bergerard, professeur de zoologie à l'université Paris Sud et directeur de la station biologique de Roscoff, spécialiste de la physiologie des insectes et l’un des fondateurs de la faculté des sciences d’Orsay. Que demander de plus ?


Toute ma soutenance fut enregistrée et je dispose de l'intégralité de mon exposé et des débats qui ont suivis. Le tout fut intégralement retranscrit dans un document de plus de cinquante pages, onomatopées et tics de langage compris. En voici quelques brefs extraits, en ne retenant bien sûr que les compliments:


M. Lamotte: "Je crois que ce que vous avez réalisé sur le terrain est quelque chose d'excellent". "Vous avez des qualités indiscutables au point de vue pédagogique et votre exposé oral en est un exemple." "Etablir un tableau comme cela, pour quelqu'un qui a un petit peu l'habitude de la dynamique des populations, et bien cela représente, on s'en aperçoit, le résultat de mois, d'années de travail; c'est quelque chose de colossal, c'est, c'est, je dirai c'est sensationnel."


J.M. Legay: "Je vous félicite d'avoir en un temps finalement, j'ai l'impression, assez court, rassemblé tant de documents déjà interprétés." "Votre soutenance a été fort claire, fort agréable."


N. Gerbier: "Je voudrais d'abord vous féliciter pour le travail énorme que vous avez effectué."


J.R. Le Berre: "Vous étiez le moins favorisé des quatre*, parfaitement seul, certes avec des retransmissions radio. Et il fallait aller de Beloha à Lavanono. Lavanono c'était encore autre chose, une situation encore beaucoup plus précaire et malgré cela, peut être à cause de cela, vous avez accumulé des données. Je suis quelque fois un peu effrayé quand je pense à tout ce que vous avez exploité. Encore une fois toutes mes félicitations."


J. Bergerard: "Je pense que vous avez fait là un travail qui est considérable." "Moi, je vous apporte toutes mes félicitations dans cette affaire et, d'une part, d'une part, pour le gros travail que vous avez fait, d'autre part, pour le travail j'allais dire théorique, au niveau modélisation et mathématique; ceci vous permet d'apporter un travail qui est certainement de très bonne qualité."


Et puis, je ne résiste pas à citer quelques quelques croustillantes perles de langage (transcrites littéralement):


"Ben, ben évidemment, par conséquent une phrase comme ça, hein, dans une introduction, c'est, c'est, c'est, c'est dommage, n'est-ce pas, voyez-vous ?"

"Ben oui, ben écoutez, ben alors, dans la page deux aussi. On peut... Vous écrivez, n'est-ce pas..."

"D'autre part, il y a des.., il y a pas mal de choses qu'il faut préciser, si vous voulez. Lorsque vous mettez... heu... je ne peux pas me relire, évidemment, c'est un inconvénient."

"Bon. Hein ? Ben, si, c'est ça le défi... ce sur quoi vous travaillez. Bon, alors, vous l'admettez..."


Mais ne soyons pas trop sévère. Je n'ai pas dû faire beaucoup mieux par la suite lorsque ce fut à mon tour, comme membre de jurys de thèse, de distribuer compliments et critiques.


Un seul regret : ne pas avoir invité la famille à ma soutenance... ni même ma future épouse qui a profité de la journée pour acheter, à Paris, son costume de mariage chez Ted Lapidus.


__________


* Trois autres étudiants de Paris Sud avaient travaillé à Madagascar en même temps que moi sur le criquet migrateur malgache et passé leur thèse en 1974 et 1975.

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