Du retard au démarrage
Cette année 2003 a été très intense en terme de négociations pour essayer, enfin, de faire démarrer ce programme EMPRES de la FAO dont je m'occupais depuis ma première mission sur le sujet en 1997. J'ai déjà eu l'occasion de parler de ce programme de renforcement du dispositif de lutte préventive contre le criquet pèlerin dans les 10 pays du Sahel et du Maghreb (voir l'article "Mon marchand de delicatessens"). Depuis 1997 se sont succédés réunions, concertations avec les bailleurs, appui à la FAO pour la création de la Commission de lutte contre le criquet pèlerin en région occidentale (la CLCPRO)... mais pas de financements conséquents pour ce programme EMPRES, mis à part quelques fonds de la FAO largement insuffisants. Si la lutte préventive est bien l’approche la plus rationnelle pour la lutte contre ce criquet... son principal point faible demeurait à l'époque la défaillance des services nationaux de lutte et le principal défi restait la mobilisation de financements internationaux pour pouvoir enfin les renforcer. J'avais bien animé une première réunion FAO sur la planification des activités du programme en février 2001 en Mauritanie... mais rien ne s'était passé depuis. En ce début d'année 2003, rien n'a encore démarré et EMPRES demeure une coquille vide. Cependant, les événements vont se précipiter. Enfin, se précipiter, certes... mais bien lentement. Voici un résumé rapide de la chronologie.
30 janvier - 3 février 2003, Niamey, Niger - En ce début d'année, je participe comme consultant FAO à l'animation de la première réunion des agents de liaison du programme EMPRES, autrement dit à la réunion de tous les directeurs des centres de lutte contre le criquet pèlerin d'Afrique de l'Ouest et du Nord. Il y a là Khaled Moumène d'Algérie, El-Gadgoud de Libye, Fakaba Diakité du Mali, Said Ghaout du Maroc, Mohammed Ould Babah de Mauritanie, Garba Yahaya du Niger, O. Diop du Sénégal et N. Tigaye du Tchad. Tous des collègues et amis que je connais bien pour avoir travaillé avec eux depuis des années à la préparation du programme. L’objectif de l'atelier - conduit selon la méthode PPO, de planification par objectif - est d'élaborer un plan d'opération pour l'année 2003. On établi une liste exhaustive des activités et sous-activités, on défini des indicateurs et un échéancier pour chaque activité, on attribue des responsabilités, on budgétise, etc. Mais tout cela demeure une sorte de fiction, une simulation d'activités qui ne peuvent démarrer faute de fonds. Il faut absolument faire bouger les lignes et arriver à mobiliser enfin un "club" de bailleurs. La France ne peut à elle seule financer le programme, mais la France est là dans sa zone d'influence historique, dans son domaine de coopération prioritaire. Elle doit donc prendre l'initiative.
Au Niger, en février 2003, lors de la première réunion des agents de liaison du programme EMPRES.
Dernières vérifications du matériel de projection avant ma présentation.
17-18 février 2003, Paris - Lors d'une réunion au MAE, le Ministère des affaires étrangères, j'ai confirmation que la France croit en la pertinence du programme EMPRES. C'est déjà un acquis. La réunion est destinée à exposer les intentions françaises sur ce programme dont le budget de la phase 1, de 4 années, est d'environ 11 M$ US à la charge des Etats bénéficiaires et de 8 M$ à la charge des donateurs internationaux. Les frais de gestion de la FAO sont, classiquement, de 13 % soit environ 0,9 M$. La France s'engagerait pour un projet FSP (projet du fonds de solidarité prioritaire) de l’ordre de 1,5 M€ et des financements de l’ordre de 1 M€ seraient également disponibles via le FFEM, le Fonds français pour l’environnement mondial, pour traiter des aspects impacts environnementaux de la lutte contre le criquet pèlerin. Il resterait donc environ 6,5 M€ à répartir. D'après le MAE, deux bailleurs seraient intéressés à participer: l’Union européenne pour 2 M€ et la BAD, la Banque africaine pour le développement. Mais pour le moment... rien n'est sûr.
Au Niger, en février 2003, lors de la première réunion des agents de liaison du programme EMPRES.
A gauche, en discussion, en marge de la réunion, avec T. Ben Halima, Secrétaire exécutif de la CLCPRO, et le Ministre de l'agriculture du Niger. A droite, discussion en soirée avec Jean-Philippe Dufour du MAE et Abderrahmane Hafraoui, directeur du groupe acridien et autres ravageurs migrants de la FAO.
4 mars 2003, Bruxelles - Avec des collègues de la FAO, et en particulier A. Hafraoui responsable du "Groupe acridien" qui gère le criquet pèlerin à Rome, je prends contact avec la Commission européenne pour sonder leurs intentions de financement. La réunion n'est pas très positive. Les collègues de la FAO, écoeurés, écourtent l'entretien. Et pourtant, si la CE refuse actuellement 2 M€ , elle mettra sur la table sans problème 50 M€ quelques mois plus tard en situation d'urgence, promettant le double en cas de nécessité. Mais pour le moment.... toujours rien.
Au Niger, en février 2003. A gauche, Khaled Moumène, futur directeur de la protection des végétaux d'Algérie.
8-12 juin 2003, Algérie - Je participe, cette fois comme représentant français délégué par le ministère des affaires étrangères, à la 2ème session de la CLCPRO, la Commission de lutte contre le criquet pèlerin en région occidentale. Un bilan des promesses de financement concernant la mise en œuvre du programme EMPRES est effectué. J'informe les participants des intentions françaises et des 2,5 M€ qui pourraient être débloqués. L'ensemble des contacts informels avec divers bailleurs montre que la totalité du financement pourrait être couvert rapidement. Cependant, la concertation entre bailleurs apparaît indispensable et je présente la proposition française d'une réunion prochaine à Paris, proposition saluée par tous. On avance, mais pour le moment... toujours rien. Par ailleurs, la situation du criquet pèlerin en région occidentale est examinée. Elle est calme et aucun développement significatif n’est attendu pour les prochains mois. Tout va bien!
A Alger, en juin 2003, lors de la 2éme réunion de la commission FAO de lutte contre le criquet pèlerin en région occidentale.
29 juillet 2003, Paris - La réunion annoncée en juin a finalement lieu fin juillet à Paris, au secrétariat d'état à la coopération et à la francophonie du ministère des affaires étrangère, encore à l'époque dans les très classes locaux du 20 de la rue Monsieur. Sont présents la BAD, le CIRAD, la CLCPRO, les Etats Unis, la FAO et le MAE. Un nombre limité de donateurs, mais ce n'est pas si mal pour un début. Après l'ouverture de la réunion par Francis Stephan du MAE, je présente les principes de la lutte contre le criquet pèlerin en Afrique de l’Ouest et conclu que la région occidentale est très fragilisée et serait incapable de faire face à une nouvelle invasion. Puis Thami Ben Halima, pour la CLCPRO, expose les grandes lignes du programme EMPRES. Laurent Bonneau, pour le MAE, affiche les intentions de financement de la France et N. Kacem fait de même pour la BAD. La réunion a au moins le mérite de faire le point sur les intentions de financement, de clarifier les positions et de vérifier que chacun partage une vision commune de la lutte préventive contre le criquet pèlerin et du programme EMPRES. Les participants estiment unanimement - face aux enjeux économiques, sociaux et environnementaux - que la lutte contre le criquet pèlerin relève du développement durable et exige un niveau de riposte régional; et, par ailleurs, que l’expérience montre que seule la lutte préventive est réellement efficace et est donc à considérer comme un bien public régional. Tout cela est très positif, d'autant que l'on souligne de plus la longue expérience de la coopération française dans le domaine de la recherche et de la lutte contre les criquets, la "lutte antiacridienne". En conclusion, le MAE compte avoir une démarche active pour mobiliser d’autres donateurs – en particulier l'Union européenne – et arriver au financement complet du programme. Une prochaine réunion de concertation entre donateurs doit se tenir en marge du prochain Comité de lutte contre le criquet pèlerin (le DLCC) à la FAO, à Rome, en septembre 2003. Rien ne semble presser. Le processus continu donc tranquillement son petit bonhomme de chemin... mais les événements vont s'accélérer.
20 au 28 septembre 2003, Rome, Italie - Réunion du Comité de lutte contre le criquet pèlerin: RAS. Le Bulletin FAO n° 299 de début septembre signale que "la situation relative au criquet pèlerin est restée calme au cours du mois d'août." Mais...
22 octobre 2003, Rome - La FAO lance une alerte au criquet pèlerin : "Au cours des deux dernières semaines, de nouvelles résurgences de criquets pèlerins se sont déclarées en Mauritanie et au Soudan et des opérations de lutte ont commencé. Une autre résurgence est en cours au Niger et la situation reste préoccupante au Mali. La FAO et les pays concernés ont pris une action immédiate pour éviter que la situation se détériore davantage."
Mais à partir de là, la situation ne va cesser de se dégrader, évoluer en recrudescence puis en invasion. Les pays affectés vont rester impuissants, et les bailleurs sourds aux appels de la FAO. En octobre 2003, la FAO estime à 1 M$ US les coûts nécessaires pour faire face... et pas de réaction. Les pays affectés, et en particulier le Maroc, tentent de lutter mais rien n'y fait, l'invasion progresse. La FAO continue à alerter. En décembre les coûts sont réévalués à 5 M$, puis à 10 M$ en février 2004... et toujours pas de réaction. Presque un an après la première alerte, les coûts pour faire face sont maintenant estimés par la FAO entre 50 (en juin 2004) puis 100 M$ (en août). Enfin, enfin, les bailleurs se mobilisent et les fonds commencent à arriver. Mais... fonds débloqués ne veut pas dire action immédiate sur le terrain. Il faut commander et faire livrer le matériel et les produits, recruter du personnel supplémentaire, organiser la logistique, etc. Finalement, la lutte se met en place et conduit à une maitrise de la situation et à la fin de l'invasion dès le début 2005. Mais que de retards et d'argent dépensé.
Pendant toute la crise de 2003-2005, mon unité CIRAD fut fortement sollicitée pour son expertise technique et scientifique, et joua un véritable rôle de plateforme d’information sur le problème criquet pèlerin au niveau national et international. Le site web de l'unité fut alors très fortement consulté, et continua à l'être.
C'est finalement cette invasion qui décidera les bailleurs à se mobiliser et à financer la phase 1 du programme EMPRES dès 2005... quand même 8 ans après ma première mission sur le sujet en 1997. En tout, de 1997 à 2012, je ferai 25 missions pour la FAO dans le cadre du programme EMPRES, en Algérie, Belgique, Egypte, Italie, Libye, Mali, Maroc, Mauritanie, Niger, Sénégal, Tchad... sans compter mes multiples déplacements sur Paris pour plaider la cause de la lutte préventive, défendre le programme EMPRES, et également, bien sûr, tenter de trouver des financements pour nos activités de recherche au CIRAD. Ce que j'arrivais finalement à faire puisque nous pûmes bénéficier de plusieurs lettres de commande dans le cadre des projets français FSP et FFEM d'appui à EMPRES: utilisation de la télédétection spatiale pour le repérage précoce des conditions écologiques favorables aux pullulations de criquets, publication d'une florule de la végétation saharienne des biotopes du criquet pèlerin, mise en place au niveau de 9 pays de l’Afrique de l’Ouest et du Nord-Ouest d’un système de veille des dispositifs nationaux de lutte préventive, etc.). Mon engagement sur le sujet n'aura donc pas été inutile. Comme l'écrivait un collègue du MAE, Laurent Bonneau, dans une note interne de 2003: "La collaboration ancienne et excellente du MAE avec le CIRAD sera importante, nécessaire et recherchée pour mettre en place ce dispositif d'appui à EMPRES. C’est déjà ce qui se fait." C'est ce qui continua à se faire pendant au moins les 10 années suivantes.